Depuis l’année dernière, Minamisoma est devenue une ville très connue du Japon car elle est située à 25 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Lors de la catastrophe, son maire Katsunobu Sakurai avait envoyé un appel à l’aide sur YouTube, entendu dans le monde entier. Presque un an après, la situation a changé, ce même maire demande à ce que les habitants reviennent vivre dans leur ville où, selon les sources officielles, les taux de radioactivité ne sont pas inquiétants. Pourtant, tous les habitants ne voient pas cela de la même manière. Comme Koichi Ohyama, cet élu local qui demandait plus de précautions et de mesures avant que les gens ne reviennent chez eux. Comme Takao Odome, qui cherche à s’approvisionner en nourriture non contaminée. Comme cette bloggeuse, Emiko Numauchi alias Numayu, qui a perdu la santé et veut alerter les autorités sur les dangers de la radioactivité.
Pour bien comprendre que la situation est vécue de manières différentes selon les habitants, voici trois témoignages concernant Minamisoma, à commencer par celui d’un Français qui pense que « la situation est grave mais pas désespérée ».
Témoignage d’un français expatrié,
Pablo Perez, qui partage sa vie entre Minamisoma et Tokyo où il travaille
(courriel du 2 janvier 2012)
« Minamisoma est le nom qui a été choisi (Minami signifie "sud" et la ville se trouve au sud d'une plus grande qui s'appelle Soma) pour nommer la réunion de trois anciennes municipalités : Kashima au nord, Haramachi au centre et Odaka au sud. Aujourd'hui, la fameuse zone des 20 km englobe Odaka mais pas Haramachi ni Kashima. Minamisoma se trouve donc "amputé" d'une partie de son territoire.
Après les deux explosions à la centrale, les 2/3 des habitants se sont enfuits. A cette époque, personne ne savait ce qui se passait dans cette usine. Deux ou trois semaines plus tard, lorsqu'on a compris qu'il ne s'agissait pas d'un "Tchernobyl", un mouvement de retour a été entamé malgré les avertissements officiels comme quoi il était possible qu'un ordre d'évacuation immédiate tombe à tout instant. Aujourd'hui, 60 des 80 000 habitants sont rentrés. Les 20 000 manquants représentent les familles qui ont des enfants en bas âge et qui, pour la grande majorité d'entre eux, n'ont pas souhaité revenir. Les écoles et les lycées sont d'ailleurs fermés à quelques exceptions près (il y a toujours des irréductibles ...).
A cette époque, la réorganisation des approvisionnements de la ville en carburant et en nourriture a pris du temps. Mais on peut dire qu'en mai la situation est revenue à la normale. Je viens de passer les fêtes avec des amis japonais ici et je peux vous dire que les magasins regorgent de tout ce que l'on veut.
Concernant le séisme, la municipalité n'a pas souffert pour une raison bien connue ici : Haramachi a la chance d'être une région géologiquement très stable. C'est pour cette raison que la ville abritait, au XXème siècle, une haute tour de communication militaire maintenant disparue. Ce n'est pas le cas des villes avoisinantes qui ont subit des dégâts mais, dans l'ensemble, peu élevés au regard de la faramineuse secousse.
Enfin, concernant le tsunami, la ville se trouve à 5 km à l'intérieur des terres et n'a pas été touchée. Seul un quartier se trouvait en bord de mer et a été en grande partie détruit. Les habitants les plus démunis ont été relogés dans des préfabriqués.
En ce qui concerne la radioactivité ambiante, je possède bien sûr un compteur et j'ai suivi personnellement les mesures effectuées par la municipalité. Des mesures régulières et précises, publiées dans le journal municipal. La situation est complexe : plus on se trouve à l'est, moins la radioactivité est élevée. Plus on se dirige vers l'ouest, plus les niveaux montent.
Et tout ceci est très loin d'être régulier. Les mesures sont souvent différentes d'un jardin à l'autre. Il y a de nombreux spots et de nombreuses zones propres. Je me trouve un peu à l'ouest du centre et actuellement le rayonnement ambiant dans mon jardin est de 0,3 microsievert/h. Par contre, si on sort de la ville et qu'on se dirige vers les montagnes à l'ouest, les doses grimpent en flèche. Je suis passé, en avril, dans une zone à environ 60 km d'ici ou mon compteur affichait 9 microsieverts/h !!
En général, les jardins publics sont pour le moment évités par les habitants, les terrains de sports sont fermés, des karchers ont été loués gratuitement aux habitants pour nettoyer devant les portes d'entrée, etc. ... les grandes opérations de nettoyage sont programmées pour ce trimestre.
Le principal reproche formulé par les japonais de la région auprès des autorités est cette fichue zone circulaire de 20 km qui ne reflète en rien la réalité du terrain. Figurez-vous que les mesures de radioactivité à Namie (10km de la centrale, aujourd'hui zone interdite) est inférieure à Minamisoma ! et les gens ne peuvent pas rentrer chez eux. Alors que des zones à plus de 60 km affichent des spots ultra pollués où les habitants ont seulement été priés de prendre des précautions... La situation est gérée à l'emporte pièce par le gouvernement qui ne peut pas, ou ne veut pas entrer dans les détails... décider qui peut rester, qui doit partir...
Quant au "buzz"' Minamisoma, il est le résultat de deux facteurs : cette ville est à la lisière des 20 km. Elle est donc à la fois considérée comme sinistrée mais en même temps ouverte. Elle concentre donc tous les regards et d'autant plus que son maire s'est fait remarquer sur YouTube jusqu'à entrer dans le top 100 du magazine Times ! Mais cette triste popularité est surfaite. Combien les municipalités comme Namie, Futaba, Okuma ou Tomioka sont bien plus à plaindre ! Elles dont les habitants ont été chassés par cette catastrophe et sont maintenant disséminés on ne sait où ... et ne pourront sans doute pas revenir d'ici 30 ans. Et celles du nord du Japon qui ont été rasées par le terrible tsunami, laissant des dizaines de milliers de sans abris. Des situations bien plus dramatiques que celle de Minamisoma et ses 0,3 microsieverts. »
Mesure en temps réel à la mairie de Minamisoma : le compteur, à 1 mètre du sol, affichait 0,30 µSv/h le 5 janvier 2012 ; le compteur de P. Perez affichait 0,43 µSv/h (cliché P. Perez)
Témoignage de Emiko Numauchi
(Extrait de son blog, le 5 janvier 2012, traduit par Ex-skf en anglais, puis par Hélios en français) :
« Je viens de parler au téléphone à un ''vrai journaliste'', nommé Iwakami. J'ai réalisé que j'avais été stupide.
C'en est fini des formules de politesse. Je vais écrire avec mon langage habituel. Faites une recherche sur ''Emiko Numauchi'' et ce
sera moi.
Cela fait six ans que j'ai publié un roman sur ''la vérité sur la bataille d'Okinawa''.
J'ai été très émue par l'enthousiasme d'Iwakami. Il semble qu'il y a déjà de nombreux cas de maladies mystérieuses dans la préfecture de Fukushima. Je suis un ''témoin vivant'' et seulement la messagère de ce qui va arriver.
Il y a déjà un chat qui est né avec un seul œil.
Peu importe ce que peut faire le gouvernement japonais, peu importe le genre de calomnie que cela peut me rapporter, il est important de continuer à diffuser les informations. C'est ce que j'ai appris de ce journaliste.
La ''vie'' et la ''dignité'' humaines sont étouffées, j'entends dire que des enfants malformés sont déjà nés. La situation dans la préfecture de Fukushima devient catastrophique, avec en fait un contrôle de l'information [ou un blackout médiatique]. Sans l'appel d'Iwakami, j'aurai tout simplement arrêté mon blog même si je suis toujours en colère.
J'ai pris rendez-vous [avec Iwakami] pour une interview, à visage découvert devant la caméra. Je ne parlerai plus par circonvolutions. Ce sera pour le bénéfice de tous les citoyens japonais si je me montre comme je suis.
Tous les membres de la Diète devraient être remplacés. Pas une élection surprise mais un remplacement des membres indispensables.
Nous n'avons pas besoin de ministres et de membres de la Diète pourris et puants. A la Diète, je veux leur dire comment est la réalité, en tant que témoin, je veux leur montrer la ''véritable âme'' du peuple japonais. »
Témoignage d’un Japonais anonyme
(reçu sur le site de Kibô Promesse)
« À propos de Minamisoma.
Katsunobu Sakurai, le maire de Minamisoma qui est devenu une célébrité parce qu'il a lancé un appel SOS sur YouTube l'an dernier, a
déclaré à plusieurs reprises que sa ville avait besoin d'argent pour reconstruire la région dévastée par le tsunami de sorte que les personnes évacuées pourraient revenir.
Les jeunes veulent émigrer hors de cette zone car elle est fortement contaminée par les radiations, mais les personnes âgées veulent rester et souhaitent que les familles restent, en particulier
les jeunes avec des enfants.
La communauté internet, composée essentiellement par les jeunes générations, condamne le maire Sakurai qui passe pour quelqu’un qui aime l’argent et qui ne se soucie pas de la vie des gens. Mais
il y a un problème social plus profond, spécifiquement japonais, qui est le fossé entre les générations extrêmes où petits et grands sont totalement divisés sur les valeurs et la perception du
monde.
Je pense toujours que les jeunes, au moins les enfants et les jeunes femmes, devraient pouvoir choisir de déménager.
C'est très frustrant d'être incapable de faire quoi que ce soit. »
Le territoire de Minamisoma est un territoire désormais contaminé « en peau de léopard », avec de nombreux hotspots qu’il faut cartographier, décontaminer, interdire. Une partie de la population souhaite être évacuée face aux dangers incommensurables de la radioactivité, une autre souhaite rester, décontaminer et reconstruire. Le Japon est divisé, mais l’inquiétude domine.
Pour que rien ne se perde, pour que rien ne s’oublie, des citoyens ont décidé de lancer une campagne d’enregistrement de toutes les données, de tous les témoignages concernant le territoire de Minamisoma. Pour lancer cette action, ils organisent un colloque le 11 février 2012 à Minamisoma.
Pourquoi Minamisoma?
Laissons parler encore une fois quelqu’un du pays qui a partie prenante avec l’évènement :
« Parce que c'est la ville symbolique de tous les problèmes et de tous les malheurs produits par Fukuchima Daiichi.
A l'époque, le gouvernement avait demandé aux habitants de s'enfermer dans les maisons, sans fournir de nourriture, ni d’eau, ni de médicament, ni d’essence.
La population a été complètement abandonnée pendant la première semaine, sans aucune information, sans aucun secours ; tous les médias se sont sauvés et ne sont jamais revenus. On ne pouvait même pas sortir de la ville.
Encore très peu de gens connaissent ce qui s'est passé à Minamisoma, malgré le maire M. Sakurai qui a été choisi comme personnage de "TIME 100", « the 100 most influential people in the world » en 2011.
Le gouvernement et les médias ignorent toujours cette ville. »
Buts de la manifestation
« Le but de cette opération est :
1) d’enregistrer tous les témoignages, les analyses, les recherches et tous les suivis sur l'environnement et santé
2) de diffuser au monde toutes ces informations (tout ce qui s'est passé et tout ce qui va se passer face à la contamination radioactive pendant 30 ans) de la manière la plus neutre possible, au plus près de la vérité.
L’objectif n’est ni d'attaquer le gouvernement actuel, ni de faire la promotion de la ville de Minamisoma, mais de partager la vérité car ce ne sont pas seulement les habitants de Minamisoma ou les Japonais qui sont concernés aujourd'hui, mais tous les êtres humains. »
Qui compose le comité exécutif de la conférence ?
Katsunobu Sakurai (Maire de Minamisoma), Tatsuhiko Kodama (Directeur du Radioisotope Center, Université de Tokyo), Kengo Sakaguchi (Professeur, Tokyo University of Science), Masafumi Yano (Professeur honoraire, Tohoku University / Research Institute of Electrical Communication, Tohoku University), Satoshi Okamoto (Okamoto Satoshi Architecture and Urban Laboratory / Researcher, Hosei University), Yoshiharu Tsukamoto (Professeur associé, Tokyo Institute of Technology / Architect), Tetsuji Yamamoto (Directeur de la Fondation de l'École des Hautes Études en Sciences Culturelles)
Programme :
http://www.minamisoma-fukushima.jp/wp-content/uploads/2012/01/MWC_press_english1.pdf
MIAMISOMA WORLD CONFERENCE en direct sur Ustream
http://www.ustream.tv/channel/minamisoma-wc-ch2
Dans le descriptif du colloque, on remarque la présence du professeur Tatsuhiko Kodama. C’est lui qui avait courageusement parlé devant le Parlement, accusant TEPCO et le gouvernement d'incompétence devant l'ampleur du désastre.
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Mise à jour du 14 février 2012
Témoignage d'un médecin de Minamosoma :
"L'hôpital municipal de Minami-Soma, à environ 30 km de la centrale nucléaire, a mesuré 100.000 coups par minute sur les vêtements de certains patients.
Tomoyoshi Oikawa, un médecin à l'hôpital, s'est plaint que, même s'il a maintes et maintes fois parlé de l'exposition des patients à un haut niveau de rayonnement, la plupart des médias n'ont pas rapporté ses résultats."
source : http://www.japantimes.co.jp/text/eo20120214a1.html
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D’autres liens
Sur Minamisoma
Minamisoma, la ville abandonnée (avril 2011)
Sur Soma
SOMA (Japon) - La vie presque tranquille d'habitants de Soma à 45 km de Fukushima(septembre 2011)
Sur les villes évacuées
Du rififi à Fukushima : les maires de 12 villes haussent le ton sur les "compensations" (janvier 2012)
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Pour les lecteurs habitant à Tokyo :
Pour information, la prochaine grande manifestation antinucléaire aura lieu à Tokyo ce samedi 11 février à Shibuya/Parc Yoyogi :
"Sayonara genpatsu" .
Programme:
13h Concert d'ouverture avec The JUMPS
13h30 Discours, avec Oe Kenzaburo, Yamamoto Taro et de nombeuses personnalités, artistes, délégués de Fukushima, dans le parc de YOYOGI, secteur B (au "Carré des manifestations" = IBENTO Hiroba, et dans l'allée des Zelkovas = Keyaki Namiki)
14h30 Départ de la manifestation
La manif part de Keyaki Namiki et du Parc Yoyogi et se terminera au Parc Central de Shinjuku.
(L'itinéraire est encore sujet à modifications, vérifier sur le site (la fonction "traduction" peut être activée mais elle reste approximative):
①ケヤキ並木→渋谷勤福→宮下公園→明治通り→原宿→千駄ヶ谷小学校→明治公園
Départ Parc de Yoyogi, allée des Zelkovas --- parc Miyashita--- Meiji dori --- Harajuku --- Ecole primaire de Sendagaya --- parc Meiji
②イベント広場→代々木公園駅→参宮橋→新宿中央公園
Départ "Carré des manifestations" (=IBENTO hiroba) --- Gare de Yoyogi koen --- Sangubashi -- parc central de Shinjuku (Shinjuku Chuo koen)
Lien: http://sayonara-nukes.org/2012/01/0211action_a/