Alors qu’en France, on persiste joyeusement à tout miser sur le nucléaire – enterrement par le gouvernement de l’objectif de 50 % de nucléaire à l’horizon 2025, mise en service de l’EPR en 2018 en fermant les yeux sur sa cuve défectueuse, mise en service d’un nouveau réacteur de recherche en 2019, poursuite de la création de la poubelle nucléaire à Bure – un accident nucléaire a failli passer inaperçu en Europe. Il s’est produit, selon l’IRSN, entre l’Oural et la Volga, c’est-à-dire très vraisemblablement en Russie.
Illustration ci-dessus : sites nucléaires russes du sud de l'Oural.
Dans cet article, j’ai choisi le térabecquerel comme unité de mesure des pollutions radioactives. 1 térabecquerel correspond à 1012 becquerels, soit 1000 milliards de becquerels.
[ Mises à jour en bas de page ]
Le sud de l’Oural, c’est un peu comme notre vallée du Rhône, il y a comme une concentration de sites nucléaires. En Russie, la plupart de ces installations sont situées dans des villes fermées dont les créations, qui remontent au temps de l’Union Soviétique, étaient liées à la fabrication d’armes atomiques. Donc pas étonnant, vu leur âge, que ça pète ou que ça fuie de temps en temps. On comprend aussi pourquoi la Russie actuelle ne peut pas reconnaître un accident nucléaire sur un site secret défense. Tchernobyl, ce n’était pas pareil, c’était une centrale nucléaire de production d’électricité et tout le monde avait été copieusement arrosé au césium-strontium-plutonium-etc., alors au bout de quelques jours, ce n’était pas possible de nier que c’était grave. En revanche, les accidents nucléaires sur des sites secrets, ça doit rester confidentiel. Par exemple, dans le passé, on a appris officiellement mais très tardivement – 33 ans plus tard ! – qu’un très grave accident nucléaire s’était produit en septembre 1957 (tiens tiens, il y a juste 60 ans, radieux anniversaire !) sur le site de Mayak. C’est encore très radioactif là-bas, c’était un accident de niveau 6 sur l’échelle INES qui en compte 7. C’était à Kychtym, dans l'oblast de Tcheliabinsk.
Justement, cet oblast et son voisin Sverdlovsk sont des bons candidats pour avoir été à nouveau victimes d’un accident nucléaire au cours de la dernière semaine du mois de septembre 2017. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la carte que vient de diffuser l’IRSN et qui pointe la région sud de l’Oural comme la très probable origine de la contamination radioactive au ruthénium-106 que vient de subir l’Europe, dont la France.
Un secteur fortement nucléarisé
Pas très loin de ce point rouge de la carte de l’IRSN qui représente une probabilité de 60 à 80 %, il n’y a pas moins de 5 sites nucléaires sensibles :
- la ville fermée de Novoouralsk, où se trouve une usine d'enrichissement d'uranium,
- la ville fermée d’Oziorsk, où se trouve une usine importante pour le traitement des déchets nucléaires civils et militaires (production de plutonium), près de laquelle se trouve le site de Mayak,
- la ville fermée de Lesnoï, spécialisée dans la fabrication des armes nucléaires : enrichissement de l’uranium et assemblage d’ogives,
- la ville fermée de Triokhgorny, spécialisée pour la fabrication de bombes atomiques (assemblage d’ogives),
- la ville fermée de Snejinsk, second site dédié au programme nucléaire russe, spécialisé dans la conception et le développement d'armements.
J’ai réalisé une carte reprenant les données de l’IRSN et positionnant les 5 sites nucléaires russes afin de mettre en évidence leur proximité du point le plus probable où aurait eu lieu l’accident. Le point rouge foncé, c’est la probabilité entre 60 et 80 %, la couleur moyenne, c’est la probabilité entre 30 et 60 %, et enfin la couleur la plus claire correspond à la probabilité entre 5 et 30 %.
Carte représentant la plausibilité de l’origine du rejet de ruthénium-106 à partir des données de l’IRSN et localisation des sites nucléaires russes du sud de l’Oural.
Est-ce l’un de ces sites qui a eu un problème ? C’est possible, mais on ne le saura sans doute jamais. Ou alors dans 30 ans quand quelqu’un parlera, ou plus tôt si un plus gros accident se produit avant.
Des pollutions radioactives à répétition en Europe
Je me souviens, en 2012, de l’iode 131 avait été détecté en Europe sans que personne ne puisse (ou ne veuille) dire d’où le problème venait. On se demandait si ça pouvait venir de Fukushima. Il est certain que l’IRSN avait les mêmes moyens qu’aujourd’hui pour faire des simulations de provenance. Mais cet institut, qui est entre autres sous la tutelle du ministère des armées, ne dit pas tout ce qu’il sait. Cependant cette fois-ci, la pollution est tellement gigantesque – entre 100 et 300 térabécquerels de ruthénium-106 – qu’il a fait un effort de communication (Serait-ce parce que le Bureau allemand de sûreté nucléaire était sur le point de l’annoncer ?).
Et qui se souvient de la pollution radioactive au césium 137 qui a eu lieu en mai-juin 1998 ? Personne à vrai dire, car l’info a été occultée par la coupe du monde de foot. Suite à une erreur, un haut-fourneau d’Algesiras avait fait fondre une capsule de césium 137 d’origine médicale, ce qui eut pour effet de libérer dans l’atmosphère européen 2 à 3 térabecquerels de césium radioactif. Sport et nucléaire ne font pas bon ménage. Je ne peux m’empêcher de penser aux prochains JO qui se dérouleront à Tokyo et à Fukushima…
Nuage de césium 137 traversant l’Europe en 1998 (source : « Validation of the POLYPHEMUS platform on the ETEX, Chernobyl and Algeciras cases », Denis Quélo, Monika Krysta, Marc Bocquet, Olivier Isnard, Yannick Minier, Bruno Sportissea, in Atmospheric Environment, 41, ScienceDirect, 2007, p. 5310)
Je me souviens aussi du réacteur de production d’iode médical en Hongrie (institut de production de radioisotopes de Budapest (Izotop Intezet)) qui avait inondé l’Europe en 2011 de 0,6 térabecquerels d’iode 131.
Et puis plus récemment, ce réacteur de Halden en Norvège qui a rejeté impunément 8 térabecquerels de gaz rares radioactifs en octobre 2016 sans que personne, excepté la Criirad, ne s’inquiète de quoi que ce soit.
Et rappelez-vous encore, au début de cette année 2017, personne n’a su dire d’où provenait cet iode radioactif détecté dans de nombreux pays d’Europe.
L’homme, par les essais nucléaires passés, avait déjà rendu notre atmosphère comme « une chambre à gaz atomique ». Les nouvelles des accidents nucléaires sont donc toujours de mauvaises nouvelles, car les gaz et les nanoparticules radioactives sont produits souvent pour des dizaines d’années ou des siècles. A l’échelle d’une génération, chaque pollution nouvelle s’ajoute donc aux précédentes. On ne peut pas supprimer la radioactivité, à chaque fois qu’on la déplace, elle se remobilise dans le vent, la pluie, la poussière… et les organismes vivants.
Accident russe ?
Tout le monde s’accorde à dire que la pollution au ruthénium ne vient pas d’un accident de centrale nucléaire, mais plutôt d’un site de retraitement. En 2016, l’ACRO avait aussi relevé une pollution au ruthénium à côté du site de retraitement de la Hague. Il n’y a donc pas qu’en Russie que des problèmes surviennent.
Le ruthénium-106, produit de fission, a une période de plus d’un an, donc la pollution sera active durant une dizaine d’années. Pauvres riverains russes, pauvres Européens. La Criirad fait bien de dénoncer l’absence de prise de mesure pour les populations concernées. Mais la Russie dément. On se demande à quoi sert l’AIEA, soi-disant « gendarme du nucléaire », incapable de dénoncer publiquement le coupable de ce nouveau crime atomique…
Pierre Fetet
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Sources :
- Détection de ruthénium-106 en France et en Europe : résultat des investigations de l’IRSN (9/11/17)
- Wikipédia, et autres sources dans le texte.
Non source :
- Site de l'AIEA : aucune information sur la pollution au ruthénium à ce jour
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Mise à jour du 19/11/17
- Nouveau communiqué de la Criirad (17/11/17)
La CRIIRAD met en cause l’AIEA et l’OMS et dénonce l’inertie de l’Europe.
- Article de Nuclear News (17/11/17)
Europe: carelessness, cowardice or concealment of radiation accidents?
- Article de NPR (17/11/17)
Clues In That Mysterious Radioactive Cloud Point Toward Russia
- Article de Safecast (16/11/17, mise à jour 17/11/17)
About that radioactive plume of Ru-106
- Rapports de l'AIEA
IAEA: Status of Measurements of Ru-106 in Europe
IAEA: Technical Attachment: Status of Measurements of Ru-106 in Europe
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Mise à jour du 20/11/17
Analyse de la situation par Alain Dubois
- Ces impalpables nuages radioactifs (20/11/17)
Poursuite de l’action exemplaire de la Criirad
- Pollution au ruthénium : la CRIIRAD interpelle l’AIEA et l’OMS (20/11/17)
L’omerta commence à se fissurer. Difficile de cacher un accident de niveau 5 sur l’échelle Ines !
- La Russie reconnaît avoir enregistré une pollution radioactive sur son territoire (20/11/17)
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Mise à jour du 21/11/17
- Communiqué du réseau Sortir du nucléaire
- De récents accords de Rosatom avec l’AIEA : quand le pollueur subventionne le gendarme…
- Carte de la pollution au ruthénium 106 (source)
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Mise à jour du 22/11/17
- Certains médias s’emballent. Ils confondent parfois une agence météo avec le Kremlin. "La Russie reconnait..." et "La Russie dément..." se côtoient dans les moteurs de recherche.
Le Parisien sort une carte osée qui semble affirmer, "selon l'IRSN", que le site de Mayak est l'origine de la pollution au ruthénium 106. Pourquoi pas, mais dans le même temps, la Russie dément toute pollution. Quelle source officielle croire ? la Russie ou l'IRSN ?
- La Criirad rappelle que rien n'est sûr, que la pollution relevée par l'agence météo russe est bien moindre que celle modélisée par l'IRSN. Et que si l'on considère que la Russie n'est pas responsable ou que la pollution est minime, alors la modélisation de l'IRSN est fausse.
Ruthénium 106 : le mystère reste entier ! (22/11/17)
- Le réseau sortir du nucléaire, en se basant sur le témoignage de la réfugiée politique Nadezda Kutepova, penche aussi pour une pollution venant du site de Mayak et édite une autre carte tirée de Daily Mail dans un dossier consacré à cette pollution :
Nuage de Ruthénium-106 : que s'est-il réellement passé ? :
Je vous conseille la lecture du communiqué de Nadezda Kutepova, c'est très instructif sur la manière dont peut se produire une pollution de ruthénium et sur ce qui se passe en Russie.
On ne peut s'empêcher de penser aussi à l'arrivée massive de combustible nucléaire usé à Mayak en août 2017 : 20 000 assemblages de sous-marins nucléaires russes à traiter en provenance de la baie d'Andreeva, dont parlait cet article de Nuclear News :
Mayak receives nuclear sub fuel from Andreeva Bay (17/08/17)
Pour l'ACRO, qui déplore également le silence de l'AIEA, " un rejet grave a eu lieu sur une installation nucléaire russe qui est encore secret ".
Fort rejet radioactif enfin reconnu en Russie, avec données sur place
Selon The Telegraph News, "Evgueni Savchenko, le ministre de la Sécurité publique de la région de Tcheliabinsk, (...) a affirmé qu'il était suspect que la fuite ait été signalée en France, "où il y a une installation de traitement des déchets nucléaires qui est en concurrence avec notre Mayak"."
Une chose est sûre ce soir : tout n'est encore qu'hypothèses et confusion ! Il faudrait une enquête internationale indépendante pour connaître la vérité sur ce qu'il s'est réellement passé.
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Mise à jour du 23/11/17
- Article de Azby Brown sur le blog de Safecast (22/11/17)
- Actu-environnement (23/11/2017)
Pollution au ruthénium 106 : la Russie ne joue pas franc-jeu
- Communiqué de la députée Michèle Rivasi (23/11/17)
Ruthénium 106 : il est nécessaire d'agir rapidement !
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Mise à jour du 24/11/17
- D’après le moteur de recherche google, la RTS a publié un article le 24/11/17 intitulé « Transparence réclamée dans l'affaire de la pollution au ruthénium-106 ». Mais cet article a été retiré de la Toile.
- Selon le journal de Montréal (24/11/17), une commission scientifique russe va enquêter sur l’origine de la pollution radioactive détectée fin septembre dans le sud de l’Oural.
Russie : des scientifiques vont enquêter sur la pollution au ruthénium-106
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Mise à jour du 25/11/17
- Interview de Jean-Marc Péres, directeur général adjoint de l'IRSN, dans l'émission "La question du jour" de Guillaume Erner sur France Culture (23/11/17)
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Mise à jour du 26/11/17
- Article fouillé de Blandine Le Cain sur la catastrophe de Mayak en 1957
Pollution au ruthénium 106 : l'accident nucléaire de Maïak resurgit soixante ans après
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Mise à jour du 29/11/17
- Nadezhda Kutepova alerte depuis 15 ans sur les dangers du site de Maïak. Un article et une émission de France TV info (29/11/17). Malgré la pollution au ruthénium 106, l'AIEA ne compte pas faire d'inspection à Maïak !
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Mise à jour du 6/12/17
- Article de synthèse de Tatyana Ivanova, journaliste biélorusse résidant aux États-Unis, dans le site Lobe Log (5/12/17) : la source de la pollution se précise, bien que la Russie nie toute implication : la source de la diffusion du Ru-106 pourrait être l'installation numéro 235, qui vitrifie les déchets hautement radioactifs à Mayak. Le même accident, selon l'AIEA , s'est produit en 2001 dans l'usine de retraitement de combustible nucléaire à La Hague. "Un nouveau four de vitrification - le SverdNIIkhimmash EP-500/5 - a été mis en service à l'usine numéro 235 de Mayak à la fin du mois de décembre 2016."
Nuclear Russia Scares the World (Again)
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Mise à jour du 18/12/17
- L'Acronique de Fukushima fait le point le 14 décembre : " Selon l’Agence de presse AP, Yuri Mokrov, conseiller du directeur général du centre nucléaire de Mayak, a reconnu que le traitement des combustibles usés conduit à des rejets de ruthénium-106 dans l’environnement. Et d’ajouter que l’usine de Mayak n’est pas à l’origine du rejet anormalement élevé qui a été détecté dans toute l’Europe en septembre dernier. Les rejets seraient minimes et des centaines de fois inférieurs aux limites autorisées. Les niveaux autorisés ne sont pas donnés dans l’article. "
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Mise à jour du 19/12/17
- La Criirad a réalisé un dossier conséquent de 34 pages (à télécharger ci-dessous) concernant cette affaire qui malheureusement est restée sans dénouement. Le laboratoire indépendant alerte : tous les voyants sont au rouge, il faut que les instances internationales réagissent.
Dossier : Ruthénium 106, Trait d'Union n°76, décembre 2017 (Criirad)
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Mise à jour du 15/02/18
Chaque pays enquêtant sur la fuite radioactive en Russie pense qu'elle vient de Mayak - sauf la Russie...
L'ONG norvégienne Bellona fait le point dans cet article où l'on apprend que la fuite a pu se produire lors de la fabrication d'une capsule de cérium 144.
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Mise à jour du 10/03/18
Article en allemand du Dr Alex Rosen, de l'IPPNW
Woher stammte die radioaktive Wolke über Europa?(D'où vient le nuage radioactif ?)___________________
Mise à jour du 30/03/18
Un nouveau communiqué de la Criirad du 27/03/18 qui remet en cause les rapports officiels :
RUTHENIUM 106 : UN INCROYABLE FIASCO
Des experts internationaux qui se discréditent,
un taux sidérant d’anomalies dans le rapport de l’IRSN,
il y a de plus en plus de zones d’ombre dans le dossier du ruthénium 106.
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Mise à jour du 25/08/18
Selon l'AIPRI, " l’unique certitude absolue est que cette grave effluence qui a libéré de 6 à 18 millions de Sievert « respirables » et assassins n’est pas le fait d’un brutal épisode de fission fraiche, ou d’une excursion de carburant atomique. Si cela avait été le cas la détection du Ru106 aurait été accompagnée par la détection de centaines d’autres radioéléments et la radioactivité par m3 aurait obligatoirement partout été jusqu’à des centaines de fois plus élevée pour être en proportion du Ru106 relevé."
Lire l'article du 16 juin 2018 en entier : Ruthénium 106