Texte de HORI Yasuo, rédigé le 4 juin 2014
traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET
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Le Japon pourra-t-il gérer ses eaux polluées ?
Le 3 mai, on a commencé à construire un mur souterrain en terre gelée autour des réacteurs afin d’empêcher l’envahissement par l’eau.
Dans la centrale nucléaire n°1 de Fukushima, chaque jour, sous les réacteurs, pénètrent quatre cents tonnes d’eau souterraine qui se mêlent à de l’eau polluée très radioactive. TEPCO puise, en permanence, cette eau pour qu’elle ne s’écoule pas vers la mer et la stocke sur son site dans d’immenses réservoirs. Mais ce moyen, simple et rudimentaire, ne peut être éternellement utilisé. L’une des plus « efficaces » contre-mesures possibles consiste, selon TEPCO et le gouvernement, à construire un mur de terre gelée.
Pour le réaliser, on enfoncera des tubes distants les uns des autres d’un mètre, on les emplira d’un liquide de température égale à moins trente degrés, ce qui aura pour effet de congeler la terre en un mur épais de deux mètres, profond de trente mètres et long d’un kilomètre et demi, tout autour des quatre réacteurs. Le gouvernement en paiera la construction, mais par la suite, TEPCO devra assurer la maintenance de ce système durant quarante ans ou davantage. Pour le seul refroidissement de la terre, la compagnie aura à payer, chaque année, plus de cinq milliards de yens, soit cinquante millions d’euros. Pourra-t-elle supporter une telle charge financière ?
Si TEPCO réussit à faire ce mur, ce sera une bonne chose, mais y parviendra-t-elle vraiment ? Beaucoup redoutent d’éventuels problèmes d’ordres divers.
1°. Les hommes n’ont jamais construit un mur de glace d’une telle ampleur. À la mi-mai, TEPCO a publié les résultats de la construction d’un mur d’essai. Le responsable a dit : « Nous avons constaté que le mur s’est parfaitement bien comporté contre l’envahissement de l’eau. Nous n’avons aucun problème technique. » Mais il s’agissait d’un mur entourant un terrain d’une surface de seulement cent mètres carrés. De plus l’état de la terre est différent d’un endroit à l’autre. Et en certains endroits, il y a des tubes sortant des réacteurs. Peut-on congeler convenablement ces endroits-là ? On ne peut prévoir la façon dont se comportera un mur de si grandes dimensions, pendant la construction et après.
2°. Les réacteurs reposent sur une terre gorgée d’eau. Quand l’eau manquera, est-ce qu’ils ne vont pas s’enfoncer ou basculer. Et leurs fonctionnalités ne seront-elles pas atteintes ?
3°. Pendant combien de temps ce mur de terre sera-t-il utilisable ?
Deux autres moyens mis en œuvre contre l’eau polluée
Le premier de ces moyens est ALPS, un engin capable d’extraire d’une eau polluée soixante-deux sortes de substances nucléaires (en anglais : multi-nuclide
removal equipment). En mai 2013, TEPCO a commencé à faire fonctionner cet engin, et à présent elle en possède trois exemplaires, mais des problèmes n’ont cessé de se poser si bien que les engins n’ont jamais marché à plein régime. S’ils étaient vraiment opérationnels, ils pourraient dépolluer jusqu’à sept cent cinquante tonnes d’eau par jour, mais jusqu’ici TEPCO n’a réussi à en purifier que quatre-vingt-cinq mille tonnes. Et trois cent cinquante mille tonnes d’eau polluée attendent à présent le bon vouloir de ces engins.
Et même s’ils réussissaient à purifier l’eau polluée, ils ne pourraient en extraire le tritium, et cette eau, purifiée mais toujours additionnée de tritium, devrait donc continuer à être stockée par TEPCO, dont l'intention était, et est toujours, de la rejeter dans la mer, ce que toutefois les gens ne permettront pas.
ALPS pose encore un autre problème, à savoir que faire, en fin d’usage, des filtres usagés, imprégnés de produits radioactifs. Tous les engins ALPS sont équipés de quatorze tours d’absorption, qui retiennent électivement soixante-deux de ces produits, et dont les filtres doivent être remplacés tous les deux ou quatre mois. Pour l’instant TEPCO stocke ces derniers sur son site, mais on n’a pas encore décidé – ou on ne peut pas décider – de la façon de s’en débarrasser.
Le deuxième moyen consiste à pomper l’eau souterraine dans douze puits, avant qu’elle ne pénètre sous les réacteurs, et à la rejeter dans la mer. Cette proposition avait déjà été présentée, en avril 2012, par TEPCO aux associations de pêcheurs, qui l’avaient repoussée, car ils n’avaient pas confiance en la compagnie et redoutaient que leur mer n’acquière la fâcheuse réputation d’être radioactive. Mais à la longue, TEPCO et le gouvernement ont réussi à persuader leurs interlocuteurs, qui ont fini par prendre, en mars 2014, l’ « amère » décision d’accepter.
Le 21 mai eu a lieu, à travers des canaux latéraux, un premier rejet de 560 tonnes d’eau puisée, après qu’on eut mesuré son taux de radioactivité et constaté qu’il n’excédait pas le seuil autorisé, soit un becquerel de césium 134 et de césium 137 par litre. À présent TEPCO rejette chaque semaine de l’eau puisée et elle entrevoit la possibilité de diminuer ainsi quotidiennement son stock d’eau de cent tonnes. Néanmoins, cette ponction doit être opérée avec précaution car le risque est que le niveau de l’eau souterraine, tout autour des réacteurs, ne devienne plus bas que celui de l’eau polluée se trouvant sous les réacteurs, auquel cas cette dernière s’écoulerait vers l’extérieur.
Ce que je crains
Sur le site de la centrale nucléaire n°1 de Fukushima se dressent une multitude de réservoirs remplis d’eau radioactive, qui ont été construits rapidement et à bas prix et dont la limite d’utilisation est de cinq ans. Depuis l’accident nucléaire, plus de trois ans déjà se sont écoulés. En janvier, TEPCO a décidé de construire, chaque mois, des réservoirs d’une capacité totale de quarante mille tonnes (celle-ci était, jusqu’ici, de quinze mille), afin de résoudre ce problème.
TEPCO doit se battre contre cette énorme masse d’eau polluée stockée, et en même temps contre une énorme masse d’eau qui chaque jour a été, est ou va être polluée.
La société japonaise souffre, à l’heure actuelle, d’un manque de main-d’œuvre dû à une économie dont l’état s’améliore, à la reconstruction des villes sinistrées et aux travaux induits par les futurs Jeux Olympiques. TEPCO dispose-t-il et continuera-t-il de disposer d’une main-d’œuvre suffisamment nombreuse et qualifiée ? Cette question m’obsède et me tourmente.