Le 9 octobre 2013
Texte de HORI Yasuo
traduit de l'espéranto par Paul Signoret
Mon autre crainte : le manque de main-d’œuvre
Les Jeux Olympiques de Tokyo, en 2020, sont-ils une circonstance favorable au règlement du problème de l’eau polluée à Fukushima ? C’est là une question que je me pose souvent ces temps-ci.
En vue de ces Jeux, nous devrons construire un nombre important de vastes stades dans Tokyo, et il est nécessaire en outre de réaliser et de coordonner les infrastructures. Pour cela on a besoin de main-d’œuvre. Le Japon en dispose-t-il en quantité suffisante, à la fois pour la centrale sinistrée de Fukushima et pour la préparation des Jeux. Je n’en crois rien. Je crains au contraire que, par manque de force de travail disponible, le gouvernement ne puisse faire porter suffisamment son effort sur les réacteurs en détresse. De divers côtés nous viennent des informations au sujet de cette pénurie de main-d’œuvre.
TEPCO a donné 100 000 yens à ses employés
Le 20 juillet, un article sur ce thème a paru dans toute la presse. Le journal Fukuŝima-Minpoo en autres écrivait :
« En 2011 et 2012, 1 177 personnes ont quitté TEPCO, au nombre desquels 40% étaient des administratifs. Entre avril et juin 2013 déjà, 109 personnes ont démissionné. TEPCO entend stopper la tendance par cette augmentation provisoire de salaire. Le président de TEPCO, M. Hirose déclare : « Je veux que, dans ces temps difficiles, les administratifs fournissent davantage d’efforts, mais jusqu’ici nous n’avons pas pu compenser leur surcroît de travail. Cette somme de 100 000 yens (1000 euros) est certes modeste, mais je souhaite ainsi envoyer un message à ceux à qui elle est destinée. »
Dans le même journal, en date du 1er août, on pouvait lire : « Les uns après les autres, les gens démissionnent de TEPCO en raison de l’évolution radicale de la compagnie. En 2011, 465 employés sont partis et en 2012, 712. Un des dirigeants de TEPCO dit que le départ de fonctionnaires et d’ouvriers capables est porteur de crise, mais que la réforme de TEPCO ne peut être arrêtée.»
Je veux travailler jusqu’au démantèlement des réacteurs, mais…
(un homme de 29 ans, de Fukuŝima)
Après l’accident nucléaire à Fukushima, je suis revenu aussitôt à la centrale. Je savais ma mort possible, mais jamais je n’ai songé à quitter le lieu de l’accident, car j’avais longtemps travaillé là. Au début, je me suis dépensé avec tant d’ardeur que je ne pensais jamais à l’irradiation. Beaucoup partaient à cause du travail trop dur, mais moi je le faisais volontiers, jusqu’au jour où j’ai su que j’avais reçu des doses de radiations équivalentes à plusieurs années d’exposition. Et j’ai dû, moi aussi, partir. Ce n’est qu’au début qu’on nous a encensés, mais plus tard on nous a rejetés. Quand je tomberai malade, personne ne se souciera de moi. Je voulais travailler pour la Centrale, mais à présent j’ai baissé les bras.
(paru dans le journal Fukushima-Minpo du 25 juin 2013)
Un travail extrêmement éprouvant
3 000 personnes travaillent chaque jour dans la centrale nucléaire n°1 de Fukushima. TEPCO a programmé le retrait des combustibles dans les réacteurs n° 1, 2 et 3 à partir de 2020. Pour effectuer ce travail, en 2013 TEPCO a besoin de 500 personnes, mais en 2014 il en faudra 4 600, et 8000 en 2015. Pour les tâches complexes, il lui faudra des ouvriers expérimentés.
Or dans les centrales nucléaires, les membres du personnel, pour pouvoir continuer à travailler, ne doivent recevoir dans l’année qu’une irradiation maximum de 50 millisieverts, et de 100 millisieverts pour cinq ans. Ils reçoivent d’autant plus de radiations qu’ils travaillent plus longtemps. Il en résulte que les travailleurs expérimentés et efficaces s’en vont et sont remplacés par des nouveaux, inexpérimentés. Ces nouveaux pourront-t-ils assumer convenablement leur tâche ? TEPCO affirme avoir assez de main-d’œuvre.
Le travail dans la centrale est éprouvant. Beaucoup se plaignent d’un salaire trop bas. Pour la décontamination des sols et des habitations les travailleurs reçoivent un salaire spécial, ce qui n’est pas le cas de ceux de la centrale. C’est la raison pour laquelle les gens préfèrent travailler dans les villes plutôt qu’à la centrale.
(paru dans le journal Fukushima-Minpoo du 10 septembre 2013)
Accès au cœur du réacteur (photo de la collection de M. Higutshi Kenji) : Aux alentours du cœur du réacteur règne une très intense radioactivité ; les ouvriers ne peuvent y travailler plus de quelques minutes ; c’est pourquoi d’autres attendent à côté pour les remplacer, mais une rotation trop rapide des intervenants gêne le bon déroulement du travail. Il arrive donc que des ouvriers ne tiennent pas compte de l’alarme de leur dosimètre ou travaillent sans l’avoir sur eux.
TEPCO perd sa main-d’oeuvre
Dans la centrale nucléaire de Fukushima, des fonctionnaires de TEPCO planifient le travail et des ouvriers de compagnies sous-traitantes accomplissent les tâches attribuées. Un membre de l’une de ces compagnies sous-traitantes dit : « Les fonctionnaires capables de bien comprendre la situation à l’intérieur de la centrale se font rares. Si leur capacité à diriger les choses diminue, divers problèmes vont se poser dans les chantiers. »
L’un des dirigeants d’une compagnie collaboratrice de TEPCO avoue : « Nous recrutons des ouvriers pour travailler dans la centrale, mais presque personne ne se présente. Les gens vont s’embaucher pour la décontamination dans les villes, ce qui offre moins de danger. »
On prévoit que, lors du démarrage des travaux de construction en vue des Jeux, des gens partiront de Fukushima, et le recrutement se fera plus difficile.
Mais le ministre de l’économie et de l’industrie est optimiste : « Nous n’entendons jamais dire que l’embauche de travailleurs est difficile, ni que ce problème gêne les travaux de réparation. »
(paru dans le journal Fukushima-Minpoo du 25 septembre 2013)
Les travaux de démantèlement des réacteurs occuperont les quarante prochaines années. Et non seulement les réacteurs de Fukushima, mais également ceux situés ailleurs seront mis au rebut en raison de leur caducité, ce qui nécessitera une plus grande quantité de main-d’œuvre. De plus, il y aura les Jeux Olympiques. De surcroît, le premier ministre Abe a lancé un projet grandiose, le “Projet de renforcement du pays”, autrement dit un plan de constructions en béton partout dans le Japon. Et enfin, la population du pays diminue : le nombre de personnes âgées s’accroît, celui d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes s’amenuise. Si le Japon gagne en prospérité grâce à l’Abéconomie (mot-valise formé du nom du premier ministre et de ‘économie’), il y aura d’autant moins de pauvres et donc d’autant moins de gens prêts à travailler dans ces chantiers dangereux.
Je crains que le Japon ne devienne un cimetière de réacteurs nucléaires, désormais inhabitable. Vision terrifiante, mais qui ne cesse de m’obséder.