24 octobre 2013 4 24 /10 /octobre /2013 09:55

Le 9 octobre 2013

Texte de HORI Yasuo

traduit de l'espéranto par Paul Signoret

 

Mon autre crainte : le manque de main-d’œuvre

 

Les Jeux Olympiques de Tokyo, en 2020, sont-ils une circonstance favorable au règlement du problème de l’eau polluée à Fukushima ? C’est là une question que je me pose souvent ces temps-ci.

En vue de ces Jeux, nous devrons construire un nombre important de vastes stades dans Tokyo, et il est nécessaire en outre de réaliser et de coordonner les infrastructures. Pour cela on a besoin de main-d’œuvre. Le Japon en dispose-t-il en quantité suffisante, à la fois pour la centrale sinistrée de Fukushima et pour la préparation des Jeux. Je n’en crois rien. Je crains au contraire que, par manque de force de travail disponible, le gouvernement ne puisse faire porter suffisamment son effort sur les réacteurs en détresse. De divers côtés nous viennent des informations au sujet de cette pénurie de main-d’œuvre.

 

TEPCO a donné 100 000 yens à ses employés

 

Le 20 juillet, un article sur ce thème a paru dans toute la presse. Le journal Fukuŝima-Minpoo en autres écrivait :

« En 2011 et 2012, 1 177 personnes ont quitté TEPCO, au nombre desquels 40% étaient des administratifs. Entre avril et juin 2013 déjà, 109 personnes ont démissionné. TEPCO entend stopper la tendance par cette augmentation provisoire de salaire. Le président de TEPCO, M. Hirose déclare : « Je veux que, dans ces temps difficiles, les administratifs fournissent davantage d’efforts, mais jusqu’ici nous n’avons pas pu compenser leur surcroît de travail. Cette somme de 100 000 yens (1000 euros) est certes modeste, mais je souhaite ainsi envoyer un message à ceux à qui elle est destinée. »

Dans le même journal, en date du 1er août, on pouvait lire : « Les uns après les autres, les gens démissionnent de TEPCO en raison de l’évolution radicale de la compagnie. En 2011, 465 employés sont partis et en 2012, 712. Un des dirigeants de TEPCO dit que le départ de fonctionnaires et d’ouvriers capables est porteur de crise, mais que la réforme de TEPCO ne peut être arrêtée

 

Je veux travailler jusqu’au démantèlement des réacteurs, mais…

(un homme de 29 ans, de Fukuŝima)

 

Après l’accident nucléaire à Fukushima, je suis revenu aussitôt à la centrale. Je savais ma mort possible, mais jamais je n’ai songé à quitter le lieu de l’accident, car j’avais longtemps travaillé là. Au début, je me suis dépensé avec tant d’ardeur que je ne pensais jamais à l’irradiation. Beaucoup partaient à cause du travail trop dur, mais moi je le faisais volontiers, jusqu’au jour où j’ai su que j’avais reçu des doses de radiations équivalentes à plusieurs années d’exposition. Et j’ai dû, moi aussi, partir. Ce n’est qu’au début qu’on nous a encensés, mais plus tard on nous a rejetés. Quand je tomberai malade, personne ne se souciera de moi. Je voulais travailler pour la Centrale, mais à présent j’ai baissé les bras.

(paru dans le journal Fukushima-Minpo du 25 juin 2013)

 

Un travail extrêmement éprouvant

 

3 000 personnes travaillent chaque jour dans la centrale nucléaire n°1 de Fukushima. TEPCO a programmé le retrait des combustibles dans les réacteurs n° 1, 2 et 3 à partir de 2020. Pour effectuer ce travail, en 2013 TEPCO a besoin de 500 personnes, mais en 2014 il en faudra 4 600, et 8000 en 2015. Pour les tâches complexes, il lui faudra des ouvriers expérimentés.

Or dans les centrales nucléaires, les membres du personnel, pour pouvoir continuer à travailler, ne doivent recevoir dans l’année qu’une irradiation maximum de 50 millisieverts, et de 100 millisieverts pour cinq ans. Ils reçoivent d’autant plus de radiations qu’ils travaillent plus longtemps. Il en résulte que les travailleurs expérimentés et efficaces s’en vont et sont remplacés par des nouveaux, inexpérimentés. Ces nouveaux pourront-t-ils assumer convenablement leur tâche ? TEPCO affirme avoir assez de main-d’œuvre.

Le travail dans la centrale est éprouvant. Beaucoup se plaignent d’un salaire trop bas. Pour la décontamination des sols et des habitations les travailleurs reçoivent un salaire spécial, ce qui n’est pas le cas de ceux de la centrale. C’est la raison pour laquelle les gens préfèrent travailler dans les villes plutôt qu’à la centrale.

(paru dans le journal Fukushima-Minpoo du 10 septembre 2013)

 

Accès au cœur du réacteur (photo de la collection de M. Higutshi Kenji) : Aux alentours du cœur du réacteur règne une très intense radioactivité ; les ouvriers ne peuvent y travailler plus de quelques minutes ; c’est pourquoi d’autres attendent à côté pour les remplacer, mais une rotation trop rapide des intervenants gêne le bon déroulement du travail. Il arrive donc que des ouvriers ne tiennent pas compte de l’alarme de leur dosimètre ou travaillent sans l’avoir sur eux.

Accès au cœur du réacteur (photo de la collection de M. Higutshi Kenji) : Aux alentours du cœur du réacteur règne une très intense radioactivité ; les ouvriers ne peuvent y travailler plus de quelques minutes ; c’est pourquoi d’autres attendent à côté pour les remplacer, mais une rotation trop rapide des intervenants gêne le bon déroulement du travail. Il arrive donc que des ouvriers ne tiennent pas compte de l’alarme de leur dosimètre ou travaillent sans l’avoir sur eux.

TEPCO perd sa main-d’oeuvre

Dans la centrale nucléaire de Fukushima, des fonctionnaires de TEPCO planifient le travail et des ouvriers de compagnies sous-traitantes accomplissent les tâches attribuées. Un membre de l’une de ces compagnies sous-traitantes dit : « Les fonctionnaires capables de bien comprendre la situation à l’intérieur de la centrale se font rares. Si leur capacité à diriger les choses diminue, divers problèmes vont se poser dans les chantiers. »

L’un des dirigeants d’une compagnie collaboratrice de TEPCO avoue : « Nous recrutons des ouvriers pour travailler dans la centrale, mais presque personne ne se présente. Les gens vont s’embaucher pour la décontamination dans les villes, ce qui offre moins de danger. »

On prévoit que, lors du démarrage des travaux de construction en vue des Jeux, des gens partiront de Fukushima, et le recrutement se fera plus difficile.

Mais le ministre de l’économie et de l’industrie est optimiste : « Nous n’entendons jamais dire que l’embauche de travailleurs est difficile, ni que ce problème gêne les travaux de réparation. »

(paru dans le journal Fukushima-Minpoo du 25 septembre 2013)

 

Les travaux de démantèlement des réacteurs occuperont les quarante prochaines années. Et non seulement les réacteurs de Fukushima, mais également ceux situés ailleurs seront mis au rebut en raison de leur caducité, ce qui nécessitera une plus grande quantité de main-d’œuvre. De plus, il y aura les Jeux Olympiques. De surcroît, le premier ministre Abe a lancé un projet grandiose, le “Projet de renforcement du pays”, autrement dit un plan de constructions en béton partout dans le Japon. Et enfin, la population du pays diminue : le nombre de personnes âgées s’accroît, celui d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes s’amenuise. Si le Japon gagne en prospérité grâce à l’Abéconomie (mot-valise formé du nom du premier ministre et de ‘économie’), il y aura d’autant moins de pauvres et donc d’autant moins de gens prêts à travailler dans ces chantiers dangereux.

Je crains que le Japon ne devienne un cimetière de réacteurs nucléaires, désormais inhabitable. Vision terrifiante, mais qui ne cesse de m’obséder.

 

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commentaires

R
Le problème essentiel est celui de la formation Le chantier exige une main d'oeuvre hautement qualifiée, très vigilante, attentive. L'exposition à la radioactivité libérée chaque jour entraîne, très vite, le choc du plafond autorisé (souvent "oublié", à l'aube de la tragédie). La noria pose de plus en plus de problèmes. Les contraintes qui pèsent sur le choix des liquidateurs contrarient le recrutement de techniciens très qualifiés. Le problème demeure entier.
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O
Des ouvriers qui se déplacent dans tout le pays pour trouver le travail le mieux payé ? Ils n'ont pas de famille ? Pas de domicile ? Pas d'amis ?<br /> <br /> On dirait les travailleurs Hobo aux Etats Unis lors de la grande crise qui a suivi 1929; les hobos étaient tellement pauvres qu'ils devaient sillonner tout le pays, en permanence, se cachant dans des trains de marchandises, à la recherche d'un hypothétique emploi manuel.<br /> <br /> Inquiétant &quot;marché&quot; du travail au Japon.
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P
En France aussi on peut s'inquiéter. Les journalistes ne savent plus comment les appeler : les bagnards du nucléaire, les clochards du nucléaire, les invisibles du nucléaire, les serfs de l'atome, les trimardeurs du nucléaires, ...<br /> Voir mon billet sur le scandale de la sous-traitance à ce lien :<br /> http://www.fukushima-blog.com/article-le-scandale-de-la-sous-traitance-dans-les-centrales-nucleaires-71652280.html
P
Une info qui va dans le sens du témoignage de HORI Yasuo :<br /> (source : http://fukushima-diary.com/2013/10/jp-gov-engineering-part-of-tepco-is-extremely-impoverished/)<br /> <br /> FUKUSHIMA DIARY FR - Le gouvernement : &quot;Le département ingénieurs de Tepco s'est extrêmement appauvri&quot;<br /> <br /> Le 23 octobre 2013, la NRA (Nuclear Regulation Authority) affirme que le département ingénieurs de Tepco s'est gravement détérioré.<br /> <br /> Un membre de la commission a déclaré que les problèmes graves s'enchaînent les uns derrière les autres. Le site se consacre à la résolution des problèmes qui arrivent sans qu'ils n'en résolvent aucun en fait.<br /> En conséquence, les travailleurs sont physiquement et psychologiquement épuisés et techniquement dépassés.<br /> <br /> Au cours du point presse régulier du même jour, le président Tanaka avait affirmé que Tepco était aussi en manque grave de travailleurs expérimentés.<br /> <br /> http://www.nsr.go.jp/committee/kisei/data/20131023-kisei_r.pdf<br /> http://www.youtube.com/watch?v=pZpvyqq37GQ
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L
Paragraphe 4, vous voulez certainement dire 50 et 100 milliSievert et non micro.<br /> Par ailleurs, vu les débits de doses sur la centrale, il y a fort à parier que les gars prennent en fait bien plus ça et que leurs relevés dosimétriques sont maquillés pour qu’il puisse travailler. Autrement, ils ne pourraient rester que quelques heures tout au plus.
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C
Il était conseillé il y a bien longtemps déjà, qu'il fallait absolument consolider le terrain vu qu'il bouge ; maintenant est arrivé ce qui a été annoncé... juste un exemple parmi d'autres....<br /> Dernier conseil : protéger la thyroïde et apprendre la radioprotection, c'est tout ce que l'Homme peut encore faire vu que la catastrophe nucléaire majeure ne peut plus être stoppée.
P
Merci d'avoir relevé cette erreur. C'est corrigé !
B
A propos.... il y aurait eu sur Twitter un message de deux travailleurs de Fukushima, faisant état d'un glissement de terrain DANS la centrale. La cause ? L'ouragan qui l'a frappée récemment. Mutité des médias sur la question.
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P
Un article fait mention de &quot;l'effondrement de la centrale&quot; (erreur de traduction d'un billet de Iori). C'est juste un terrain annexe. Les ex-réacteurs ne sont pas touchés. C'est l'abondance de l'eau de pluie qui en est la cause, et c'est un évènement habituel au Japon à la saison des typhons.
B
Age des ouvriers.... les cancers se développent moins vite ? Mais en revanche, il s'agit certainement assez souvent de travail de force, alors... il n'y a pas que la compétence.
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S
Salut, d'abord un truc concernant notre ami Roland, qui fait des commentaires sur ce site...<br /> ...<br /> Salut Roland, je lis tes postes, je dirais que tu a une certaine façon de nous parler assez originale et un peu déconcertante, pas comme nous, pour toi tout semble une logique très proche de l'être humain, il semble émaner une sorte de &quot;&quot;compétence&quot; et une prise de &quot;pouvoir&quot; (politique ou autre) avec des phrases qui semblent sortir de l'ordinaire...<br /> ...<br /> Je m'excuse pour l'analyse un peu n’importe quoi , Roland...<br /> ...<br /> Une autre remarque concerne l'age des ouvriers sur le site Fukushima, ils devraient avoir tous un age respectable (peut-être 70 a 80 ans), je te laisse Pierre deviner pourquoi...<br /> ...<br /> A+ ste<br /> ...
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B
Le signal d'alarme a déjà été tiré dès 2011 : il était visible que cette catastrophe ne pourrait jamais être contrôlée et résorbée. Je me souviens en avoir parlé dès août 2011, sur un site qui n'existe plus. La seule solution pour les Japonais de survivre, c'est de s'éloigner très vite de leur pays quoi qu'il en coûte : c'est tout simplement leur vie qui est en jeu.<br /> <br /> Naoto Mutsumura viendra visiter le nord-est de la France au printemps. Ce sera peut-être son dernier, puisqu'il est le seul à avoir choisi de rester là-bas, près de la centrale, avec ses animaux et ses plantes.
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