5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 06:00

Quatre articles ont été publiés récemment sur Fukushima. Ils montrent que rien n’est réglé, que les mêmes questions se posent depuis 4 ans. Partir est une solution pour ceux qui s’en donnent les moyens. Rester est-il pour autant un acte qui fait le jeu du gouvernement qui souhaite le retour des populations en zone contaminée ? Dans une situation qui reste inextricable, il y a plusieurs « solutions », chaque individu fait son choix ou son non choix.

  • À Fukushima, la population est dans une situation inextricable
  • Partir de Tokyo
  • Quatre ans après, Fukushima
  • Fukushima : cogérer l’agonie

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« À Fukushima, la population est dans une situation inextricable »

par Louise Lis (site Le journal du CNRS)

Logements provisoires pour personnes déplacées dans la municipalité de Minamisoma, dans la région de Fukushima - T. MUNITA/The New York Times-REDUX-REA

Logements provisoires pour personnes déplacées dans la municipalité de Minamisoma, dans la région de Fukushima - T. MUNITA/The New York Times-REDUX-REA

Quatre ans après l’explosion d’une centrale nucléaire à Fukushima, le sort des populations concernées est loin d’être réglé. La chercheuse Cécile Asanuma-Brice décrypte la politique qui vise à inciter ces personnes à réintégrer les zones encore contaminées.

Résidente au Japon depuis près de quinze ans, Cécile Asanuma-Brice travaille au bureau du CNRS à Tokyo et est chercheuse associée au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo et au Laboratoire international associé « Protection humaine et réponse au désastre » (HPDR) créé par le CNRS et d’autres institutions françaises et japonaises, à la suite de la catastrophe de Fukushima. Le 11 mars 2011, un tremblement de terre suivi d’un tsunami avait provoqué l’explosion, le lendemain, d’une centrale nucléaire dans cette région.
  
             

Combien de personnes restent déplacées ? Dans quelles conditions vivent-elles ?
Cécile Asanuma-Brice : Le gouvernement japonais fait état de 118 812 personnes déplacées1, dont 73 077 à l’intérieur du département de Fukushima et 45 735 à l’extérieur, ce qui représente une baisse puisque les mêmes statistiques officielles affichaient 160 000 personnes déplacées en 2011, quelques mois après la catastrophe. En réalité, le nombre de personnes déplacées est bien plus élevé que cela. Car le système d’enregistrement mis en place par l’Administration est extrêmement contraignant et une partie non négligeable des habitants n’a pas voulu s’y plier. J’ai personnellement interviewé plusieurs familles regroupées au sein d’associations qui ont refusé cet enregistrement, car cela aboutissait à leur faire perdre des droits, notamment quant à la gratuité de leur suivi médical.

Dans un premier temps, le gouvernement japonais a ouvert à la gratuité le parc des logements publics vacants sur l’ensemble du territoire aux personnes qui souhaitaient s’installer ailleurs. Cette mesure était positive, même si elle ne s’est pas accompagnée de politiques d’aide à l’emploi qui auraient permis une intégration durable des nouveaux migrants dans les territoires d’accueil. En outre, cette directive a pris fin en décembre 2012. Simultanément, des logements provisoires ont été construits mais en partie sur des zones contaminées selon la carte de répartition de la contamination produite par le ministère de la Recherche du gouvernement japonais.

Dans la loi, la vie dans ces logements est limitée à deux ans en raison de l’inconfort des lieux. Mais le provisoire est en train de durer. Les réfugiés qui vivent sur ces terrains vacants aux marges des villes ont à leur charge la consommation d’électricité, de gaz et d’eau, et sont également contraints d’acheter les aliments qu’ils produisaient autrefois, la plupart d’entre eux étant fermiers. Le revenu de compensation de 100 000 yens (environ 750 euros, NDLR) par mois qui leur est versé par Tepco, l’entreprise de gestion de la centrale, est insuffisant pour couvrir ces frais. Enfin, des logiques de discrimination commencent à apparaître, pointant les réfugiés comme des « assistés », ce qui est extrêmement mal considéré dans un pays qui place très haut la valeur du travail.

Le 9 novembre 2013, M. Ônuma et son épouse sont venus déposer les os de leur défunt au temple de Futaba, leur ville d’origine aujourd’hui inhabitable à cause de la radioactivité. Sur le portique derrière eux, on peut lire : «Le nucléaire, l’énergie pour un futur radieux.» - © M. Ônuma

Le 9 novembre 2013, M. Ônuma et son épouse sont venus déposer les os de leur défunt au temple de Futaba, leur ville d’origine aujourd’hui inhabitable à cause de la radioactivité. Sur le portique derrière eux, on peut lire : «Le nucléaire, l’énergie pour un futur radieux.» - © M. Ônuma

Les populations expriment-elles le souhait de rentrer chez elles ? Quel est l’état d’esprit dominant ?
C. A.-B. : Beaucoup de familles sont installées loin de leur village d’origine tandis que les pères continuent de travailler dans le département où elles vivaient. Une majorité d’entre elles sont propriétaires de leur maison ou appartement ; elles ont emprunté pour cela et il leur est par conséquent très difficile de tout abandonner sans l’application d’un droit au refuge, soit l’assurance d’une compensation financière et d’une aide à la recherche d’emploi dans la région d’accueil. Cela serait envisageable si l’on considère les sommes faramineuses consacrées à la décontamination inefficace des territoires. Ces habitants sont mis dans une situation inextricable et cela se traduit par un taux de divorce élevé, de même que celui des suicides et des dépressions nerveuses…

Néanmoins, le gouvernement entretient soigneusement l’idée d’un retour possible et tend à rouvrir progressivement les zones qui étaient interdites à l’habitation. Ainsi, la zone de réglementation spéciale qui recouvrait les neuf collectivités locales autour de la centrale a été totalement supprimée, ce qui recouvre une population de 76 420 personnes. Un peu moins de deux tiers d’entre elles – 51 360 personnes exactement – se trouvent dans la zone de « préparation à l’annulation de la directive d’évacuation » – dont le taux de contamination est en deça de 20 millisieverts (mSv) –, ce qui signifie qu’elles peuvent se déplacer librement dans cette zone durant la journée afin d’entretenir leur habitat ou d’y travailler. L’annulation de la directive a été effective en partie en 2014. Dans la zone de restriction de résidence, qui concerne 25 % des habitants (19 230 personnes), il est permis d’entrer et de sortir librement pendant la journée mais pas de travailler.

 

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Lire la suite ici : https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-fukushima-la-population-est-dans-une-situation-inextricable

 

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Partir de Tokyo

Témoignage de Yabu sur le site lundimatin

Où Yabu nous raconte sa fuite de la capitale le lendemain de l’accident nucléaire, et des rencontres improbables qui s’en sont suivies.

 

L’après-midi du jour du séisme...

L’après-midi du jour de séisme, les transports publics ne marchaient plus à Tokyo, nous n’avions plus aucun moyen de rentrer à la maison, en tout cas pour tous ceux qui vivaient en banlieue. Des dizaines de milliers de gens marchaient jusqu’à leur maison, c’était une scène spectaculaire. Un ami m’avait prêté un vélo pour aller de Shinjuku à Kita-ku, il y a un peu moins de 10km, je suis donc rentré à la maison de cette manière. Heureusement, tout allait bien chez moi. J’ai allumé la télé, je crois me souvenir vers 18h ou 19h et j’ai vu un flash d’info qui parlait de la centrale de Fukushima Daiichi, ils disaient que le système de refroidissement était tombé en panne. Et comme j’avais déjà des connaissances sur le nucléaire avant l’accident, j’ai donc tout de suite compris l’ampleur de la situation, j’ai réalisé intuitivement que Tokyo ne serait pas à l’abri.

J’ai surtout pensé alors à comment protéger ma fille contre la radiation, je suis donc allé à la pharmacie, j’ai demandé des pastilles d’iode, mais il n’y en avait pas. Les pastilles d’iode ne sont pas des produits commercialisés qui circulent normalement, de ce fait, faute de mieux, j’ai acheté de la teinture de l’iode. J’en ai dilué et ma fille et moi en avons bu.

Points de vue sur Fukushima

Nous sommes partis avec ma fille

Le lendemain, la situation ne s’était pas vraiment arrangée, mais les transports publics reprenaient peu à peu. Je suis donc allé à la Gare de Tokyo pour voir si je pouvais prendre un Shinkansen (TGV japonais) pour Nagoya où vit ma mère, comme il circulait normalement, je suis parti avec ma fille. On a dû arrivés chez ma mère vers midi ou 15h, je regardais la télé pour suivre les infos, et c’est à ce moment là que j’ai appris que la centrale de Fukushima Daiichi avait explosé. Je me suis dit qu’il serait difficile de rentrer à Tokyo, c’est vrai qu’il y a tout de même 250 km qui séparent la ville de la centrale, mais il faut savoir que la plaine de Kanto, c’est tout plat, rien ne peut faire écran au panache radioactif, je me suis dit alors qu’il était fort possible que la contamination arrive jusqu’à Tokyo.

Je continuais à regarder la télé à Nagoya. Petit à petit, mes proches sont venus me rejoindre chez ma mère pour se réfugier temporairement. On regardait la télé tous ensemble, je crois me souvenir c’était environ le 20 mars. L’iode radioactif a à ce moment là été détecté dans l’eau du robinet de Tokyo, laquelle vient pour moitié du fleuve Tone-gawa, l’amont du fleuve Tone-gawa se trouvant dans le département de Tochigi, qui est un département voisin de Fukushima. Là-bas, c’était contaminé. Un peu plus tard, dans l’Est de Tokyo, notamment dans le quartier Tokatsu, un niveau de radiation élevé a été constaté dans l’air. Le panache radioactif était parvenu jusque là. Fin mars, nous avons déménagé précipitamment de Tokyo à Nagoya, en avril, ma fille a commencé à aller à sa nouvelle école [1] .

On s’est dit qu’il faudrait aller prendre des mesures par nous-mêmes
Au début, c’était très difficile d’avoir une idée de la contamination exacte à Tokyo, le problème étant qu’il n’y a qu’un point de surveillance, placé très haut, pour l’ensemble de la ville de Tokyo. C’est un équipement qui date de l’époque des essais nucléaires atmosphériques, il n’est donc pas adapté à un environnement humain. C’est pour cette raison que l’on s’est dit qu’il faudrait aller prendre des mesures par nous-mêmes. Je suis donc retourné à Tokyo pour cela, à la fin du mois de mai, après mon emménagement à Nagoya. Il me fallait d’abord des compteurs-Geiger mais ils étaient difficiles à trouver, j’ai donc demandé à mes amis japonais vivant en France qui m’ont fait savoir que la CRIIRAD viendrait bientôt faire une conférence à Tokyo, il était également prévu qu’elle se rende à Fukushima. Les gens de la CRIIRAD [2] nous ont proposé de nous donner deux compteurs-Geiger si nous les aidions à organiser la conférence à Tokyo.

J’ai fait appel aux amis de Tokyo pour organiser la conférence, nous l’avons intitulée : « Mesure citoyenne de la radiation pour les amateurs, pour n’importe qui ». Les chercheurs de la CRIIRAD ont expliqué comment utiliser un dosimètre, son principe, etc. Mais nous avons été victimes de notre succès, plus de 200 personnes sont venues, beaucoup de jeunes pères et mères comme moi-même, et ce bien qu’elle ait été organisée en urgence. La salle était trop petite pour accueillir tous ceux qui voulaient entrer.

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Lire la suite ici : https://lundi.am/Partir-de-Tokyo

 

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Quatre ans après, Fukushima

par Kolin Kobayashi

 

Quatre ans ont passé, nous sommes toujours dans l’état d’urgence. Cet état d'urgence ne sera levé qu'à condition que le niveau radioactif passe en dessous de 1mSV/an et qu’il n’y ait plus de zone sous contrôle.

Dans la loi japonaise, si le taux radioactif dépasse 40 000 bq/m2, la zone est mise sous contrôle administratif. Deux tiers du département de Fukushima et quelques autres zones chaudes sont dans ce cas de figure. Ces espaces sont en principe inhabitables, parcourus par des experts qui ont le droit d’entrer et sortir, l’eau est impropre à la consommation, alors qu’il y a environ 2 millions d’habitants qui y vivent encore aujourd’hui. Ces zones doivent donc être classées officiellement comme zones sous contrôle administratif, c'est ce que déclare avec insistance le Prof. Koïdé Hiroaki. (Par parenthèse, à Tchernobyl, il y a 15 millions d'habitants qui vivent aujourd'hui dans les régions qui devraient être considérées comme des zones sous contrôle administratif selon les normes internationales. Les conséquences de Tchernobyl n'est donc pas finies aujourd'hui encore après 29 ans).

 

Sur tous les fronts, la bataille fait rage

D'abord, la question du redémarrage :

On sait que le gouvernement Abé voudrait faire redémarrer malgré d'autres risques de séisme possibles. Le ministère de l'économie et de l'industrie essaie de corrompre les communes où se situent les centrales en proposant une subvention trois fois plus importante que celle de l'an dernier, soit 2,3 milliards de yen (=775 190 euros), afin qu'elles acceptent rapidement le redémarrage. Les centrales de Sendai, de Takahama, et de Ohi ont déposé une demande de redémarrage et l'Autorité de régulation nucléaire a l'intention de leur donner son feu vert. N'oublions pas que le président de l'Autorité est un scientifique, venu du lobby nucléaire dont la nomination a été très contestée. Tout de même, il y a une question administrative à surmonter. A la question d'un député d'opposition sur l'obtention de l'accord des communes situées dans un rayon de 30 km autour des centrales, le ministère de l'écologie a répondu que cet accord était indispensable, pour des raisons de mise en place des dispositifs d'évacuation des populations en cas d'accident. Quant à la centrale de Sendai, le gouverneur de Kagoshima et le conseil général ont donné leur aval, mais il y a un certain nombre de communes qui restent en désaccord justement sur la question de l'évacuation.

 

Retour de la population et travaux de décontamination

La politique gouvernementale du régime Abé sur les réfugiés consiste à ouvrir des zones de préparation au retour pour 32 000 personnes, comme Minami-Soma, Naraha, ou une partie de Tomioka et de Kawachi, Katsurao et Kawamata. La normalisation de ces zones et la sortie de l'état d'urgence sont nécessaires pour pouvoir commencer à préparer les Jeux olympiques de Tokyo de 2020. D'après les sondages, il n'y a qu'entre 12 et 17% de cette population qui accepterait de revenir dans les zones préparées, principalement des personnes de plus de 50 ans.

Mais les travaux de décontamination ne décontaminent pas et transfèrent la radioactivité ailleurs. Le gouvernement annonce quand même qu'ils ont avancé que 14 % sur l'ensemble des zones à décontaminer.

 

Gestion de l'eau contaminée

Cela a commencé depuis le tout début de l’accident en 2011. La fuite d'eau devient un défi quotidien impossible de 6 000 travailleurs nucléaires sur place. Mais cette affaire est finalement ingérable, c'est comme le mythe de Sisyphe. Concernant la dernière fuite ( février 2015), le niveau radioactif est 70 fois plus élevé que le taux normaux, TEPCO a caché l'information depuis mai dernier et l'Autorité de régulation nucléaire la laisse faire sans aucun contrôle.

En 2013, d’après TEPCO, l'eau contaminée évacuée contenait 14 milliards de Bq/par jour du Strontium90, 25 milliards de Bq/jour de Césium137, et 25 milliards de Bq/jour Tritium.

En 2014, 5 milliards de Bq/j de Tr90, 2 milliards de Bq/j de Césium137, et 15 milliards de Bq/j de Tritium.

En 2015, le Tr90 en est à 7230 Bq/litre.

L'AIEA préconise de verser l'eau contaminée dans la mer après l'avoir filtrée par un système de décontamination globale, mais qui ne filtre pas le Tritium puisqu'il fond dans l'eau. La Fédération nationale des syndicats de pêcheurs japonais s'oppose farouchement contre une telle décision.

 

Situation sanitaire

Au Japon, nous sommes toujours sous l'état d'urgence décrété le 11 mars 2011. Pour que la déclaration soit levée, il faut que le niveau radioactif redevienne normal, c'est-à-dire 1 mSV/an et que des zones sous contrôle soient supprimées, sauf les zones de non-retour. C’est la raison pour laquelle le gouvernement japonais se précipite de faire revenir la population locale dans son habitat d'origine. Mais on n'est encore très loin de la normalisation.

Quand on aborde la question de la santé après l'accident de Fukushima-Daiichi, on a l'impression d'être dans un brouillard épais. Pourquoi cette invisibilité profonde ? Il y a deux raisons principales. Premièrement, les effets des radiations sur le corps humain ne sont pas toujours évidents, il y a les effets dits stochastiques et les déterministes. Les premiers se verront dans dix à vingt ans, voire plus de trente ans, les seconds sont les réactions immédiates, dont on n’a pas besoin de parler puisqu’ils sont déjà reconnus (brûlures, détérioration de peau, saignements, cheveux tombés, cancers,  décès...). Mais pour les effets stochastiques, avec le temps, ils pourraient être attribués à d’autres causes, car le savoir scientifique d'aujourd'hui refuse de reconnaître l'impact de la radioactivité dans certaines maladies somatiques. Pourtant, depuis Tchernobyl, la science a connu un certain progrès, notamment dans le domaine de la biologie moléculaire pour déterminer les réactions des radionucléides dans les tissus. Deuxièmement, il y a une volonté de minimisations, de falsification, et de désinformation de la part des autorités nationales et internationales, de TEPCO, et des experts de radioprotection des organisations internationales, et Yves va aborder précisément cette question. Ces procédures ne sont pas nouvelles à Fukushima, mais on les observe depuis l'accident de Tchernobyl. C’est souvent le même discours, le même dogme mensonger propagé par les mêmes acteurs. Chaque fois qu'on parle de la gestion de la santé lié aux accidents nucléaires, on doit dénoncer ce système de censure instauré par la mafia atomique qui comprend non seulement les autorités locales et nationales mais aussi les organisations internationales telles que l'AIEA, l'UNSCEAR et la CIPR.

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Lire la suite : http://echoechanges-echoechanges.blogspot.fr/2015/03/quatre-ans-apres-fukushima.html

 

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Fukushima : cogérer l’agonie

par Nadine et Thierry Ribault

Cet article a été publié sur le site de Paul Jorion

 

En ce 11 mars 2015, quatre ans après l’inachevable désastre nucléaire de Fukushima, on peut, bien entendu, établir un bilan officiel : 87 enfants atteints d’un cancer de la thyroïde, 23 autres suspectés de l’être, 120.000 « réfugiés », 50.000 liquidateurs mobilisés au seuil sacrificiel dûment relevé, des piscines remplies de combustibles prêtes à nous exploser au nez, des rejets massifs et réguliers d’eau contaminée dans l’océan, pas moins de 30 millions de m3 de déchets radioactifs à stocker pour l’éternité.

Ce bilan existe. Nous vous y renvoyons.

 

L’État fait des habitants de Fukushima des cogestionnaires du désastre

Une fois ce « bilan » dressé, une fois les victimes et les inquiétudes considérées avec respect, il s’agit de tirer les conclusions qui s’imposent. L’une d’entre elles est la suivante : au fur et à mesure que se mettait en place l’aide fournie par des groupes citoyens, des ONG, des structures plus ou moins indépendantes, l’État faisait des habitants de Fukushima, indéniablement et sous couvert de « participation citoyenne », des cogestionnaires du désastre. On pourra nous opposer que cet élan civique a relevé de la spontanéité, voire de l’amour du prochain, que l’État n’a donné aucun ordre allant dans ce sens, que chacun était, et reste, libre de « s’engager » dans de tels mouvements, certes ! Cependant, beaucoup des hommes et des femmes qui l’ont fait, même si c’est inconsciemment, ont fait le jeu de l’État.

Voilà ce que nous avons constaté.

La plupart de ses groupes citoyens, ces ONG, ces structures plus ou moins indépendantes ont appelé les habitants à s’équiper de dosimètres, les ont aidé à s’en procurer ou à s’en fabriquer sur le mode do-it-yourself, les ont assistés dans la tâche pharaonique d’une impossible décontamination, ont réuni des fonds aux sommes parfois colossales pour acheter des équipements permettant d’effectuer des anthropogammamétries, y ont fait asseoir leurs congénères pour leur asséner des chiffres dont ils ne savaient que faire, ont élaboré des cartes des retombées radioactives au mètre près, ont ouvert des dispensaires dédiés à l’évaluation des doses reçues et au suivi sanitaire des populations. Ces « initiatives citoyennes » ont visé à rendre compte d’une réalité dont les protagonistes estimaient qu’elle était niée par les autorités. Ce faisant, plutôt que de les mener à « sauver leur vie », autrement dit prendre leurs jambes à leur cou (comme l’ont fait certaines structures, dans le Yamanashi par exemple, aidant les gens à refaire leur vie ailleurs), la plupart d’entre elles ont aidé les gens à rester sur place, ce qui a fait le jeu d’un État qui n’avait d’autre objectif, dès le début des évènements, que de maintenir les populations en place. Ce faisant, plutôt que de remettre en question la thanato-politique de folles sociétés humaines bâties sur le danger et le gouvernement par la mort, ces structures ont appris aux gens à vivre avec, attendu que les dosimètres créeraient le miracle.

De Tchernobyl à Fukushima, la cogestion a fait faire un bond qualitatif à l’administration du désastre : travaillant à la grande inversion du désastre en remède, elle a porté à un degré de perfection jamais atteint jusqu’à présent la responsabilisation de chacun dans sa propre destruction et la nationalisation du peuple qui la fonde.

 

Groupes indépendants… intégrés

Prenons deux exemples qui montrent comment, un jour ou l’autre, ces structures plus ou moins indépendantes l’ont été de moins en moins et se sont, avec plus ou moins d’état d’âme, ralliées aux structures étatiques.

Premier exemple : Ethos, programme développé en Biélorussie dans les années 1990 pour « améliorer les conditions de vie dans les zones contaminées », soutenu par la commission européenne, dont le leader était notamment directeur du CEPN, Centre d’études sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire, association financée par EDF, le CEA, la Cogema et l’IRSN. Un clone de ce programme, Ethos in Fukushima, est né au Japon six mois après le 11 mars 2011, à l’initiative d’une ONG locale visant à soutenir le moral des troupes contaminées à travers des réunions d’information où sont prônées l’entraide entre les habitants et des mesures illusoires de protection contre la radioactivité. Le mot d’ordre de l’ONG, dont la foi, logiquement, renverse les montagnes, est : « Malgré tout, vivre ici, c’est merveilleux, et nous pouvons transmettre un avenir meilleur ». L’élève ayant rapidement dépassé le maître, cette initiative a fait l’objet d’une prise en main de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), qui a mené à la mise en place de « Dialogues ». Ces séminaires participatifs ont alors rassemblé des élus, des experts scientifiques et des groupes de citoyens soucieux de « revitaliser » les zones contaminées qui en avaient bien besoin, afin d’inculquer une « culture pratique radiologique » et d’aider chacun à « optimiser les doses ».

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Lire la suite : http://www.pauljorion.com/blog/2015/03/13/fukushima-cogerer-lagonie-par-nadine-et-thierry-ribault/#more-73924

 

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 00:34
Fukushima : des défis insurmontables

Fukushima : des défis insurmontables

 

Par David BOILLEY (ACRO.eu.org)

 

 

(Article original publié le 5 mars 2015)

 

Cela fait quatre ans que la catastrophe nucléaire japonaise a commencé. Après l’urgence et les mesures d’ajustement et de restructuration, aussi bien la compagnie TEPCo, qui exploitait la centrale, que les autorités se sont installées dans un chantier à long terme. Les défis sont immenses, tant au niveau de la centrale qui reste menaçante que dans les territoires contaminés où la population s’interroge sur son avenir, mais le pays y fait face avec les anciens réflexes de dissimulation et d’autoritarisme qui ne font qu’aggraver la situation.

 

L’été 2013 avait été marqué par une suite de scandales sur les fuites d’eau contaminée qui ont secoué le Japon, avec un fort retentissement médiatique international. Le Premier ministre japonais, Shinzô Abé, a pris le dossier en main et a déclaré devant le Comité olympique, où il défendait la candidature de Tôkyô, que la situation était « sous contrôle » et que la pollution radioactive était bloquée dans le port devant la centrale. Plus tard, devant le parlement, il précisera que « les effets de la radioactivité » sont bloqués dans le port, sans préciser ce qu’il entendait par « effets ». Plus de 18 mois plus tard, force est de constater que la situation n’est pas sous contrôle et l’eau contaminée reste le principal cauchemar de TEPCo.

 

 

La bataille de l’eau contaminée

 

Avant la catastrophe nucléaire, TEPCo pompait, chaque jour, environ 1 000 m3 d’eau souterraine pour rabattre la nappe phréatique et éviter les infiltrations dans les sous-sols des réacteurs nucléaires. Ce pompage s’est arrêté avec la catastrophe et environ 400 m3 d’eau souterraine y pénètrent chaque jour et se mélangent à l’eau de refroidissement fortement contaminée. Cette eau est stockée et TEPCo doit ajouter une cuve tous les deux jours. Il y a plus d’un millier de cuves sur le site de la centrale.

TEPCo doit ajouter une cuve tous les deux jours

TEPCo doit ajouter une cuve tous les deux jours

Inversement, de l’eau contaminée passe des sous-sols vers la nappe phréatique avant de rejoindre l’océan. Les fuites en mer, estimées à la louche à 300 m3 par jour, continuent. TEPCo s’est engagée dans une bataille pour « contrôler » la situation où elle enregistre peu de victoires.

 

Première idée, reprendre les pompages, mais l’eau près des réacteurs est fortement contaminée. Alors la compagnie a décidé de pomper plus en amont où la contamination est moindre. Mais, il lui a fallu un an pour convaincre les pêcheurs qui ont fini par accepter, en mars 2014, que cette eau soit rejetée dans l’océan. Il aura fallu du temps à la compagnie pour accepter un contrôle de l’eau par un laboratoire tiers.

 

En régime de croisière, ce sont entre 300 et 350 m3 qui sont ainsi rejetés quotidiennement en mer. La contamination en tritium (hydrogène radioactif) ne doit pas dépasser 1 500 Bq/L et celle en bêta total (hors tritium) 5 Bq/L. TEPCo avait annoncé une diminution attendue des infiltrations de 100 m3 par jour mais les effets ont mis du temps à se manifester. Ce n’est qu’à l’automne 2014 que la compagnie a pu observer une baisse de 50 à 80 m3 par jour en données corrigées des variations saisonnières. L’eau contaminée continue donc à s’accumuler jour après jour.

 

En parallèle, sur injonction des autorités, la compagnie a commencé à installer un système destiné à geler le sol tout autour des réacteurs accidentés pour limiter les échanges. C’est le gouvernement qui paye. En amont, les travaux progressent vite, mais, en aval, il y a de nombreuses galeries souterraines qui vont vers la mer. TEPCo a essayé, pendant des mois, d’en geler une à titre expérimental, mais cela n’a pas pris. Elle a eu beau rajouter de la glace, puis de la glace carbonique, rien n’y a fait, l’eau circulait toujours. Elle a ensuite tenté de cimenter la partie qui ne gelait pas, sans plus de succès. Elle a enfin décidé de remplir les galeries de ciment, mais il y a de nombreux câbles et tuyaux et il est peu probable que ce soit complètement étanche.

 

Le stockage de l’eau contaminée n’est pas durable. Une première station de traitement, Sarry, retire le césium, mais cela ne suffit pas. Une nouvelle station, ALPS, doit retirer 62 radioéléments, mais elle cumule les déboires. Les performances n’étaient pas toujours au niveau attendu et elle génère d’énormes quantités de déchets. TEPCo s’était engagée, en septembre 2013, après les scandales de l’été et les déclarations du premier ministre, à traiter tout son stock avant mars 2015. Il est rapidement apparu que ce ne serait pas possible. Elle a donc ajouté de nouvelles unités qui ne retirent que le strontium, très radiotoxique, en plus du césium. Mais, finalement, même en prenant en compte cette décontamination partielle, elle ne pourra pas tenir ses engagements. TEPCo affirme maintenant pouvoir y arriver en mai de cette année pour le strontium et en mai 2016 pour les autres radioéléments.

 

Même partiellement décontaminée, cette eau s’accumule dans des cuves. En cas de fuite importante, l’impact serait moindre, mais cela ne résout pas le problème du stockage à long terme. En effet, le stock total de tritium contenu dans les cuves, les combustibles, les sous-sols, et qui n’est pas retiré par les différentes stations de traitement, correspond à environ 150 ans de rejets en mer à la limite maximale autorisée. Pour déverser cette eau dans l’océan – le rêve de TEPCo et des autorités – il faudrait changer les autorisations de rejet, ce qui semble politiquement impossible.

 

La dernière carte de TEPCo consiste finalement à pomper l’eau souterraine au pied des réacteurs. Mais elle est très contaminée. La compagnie veut donc la traiter et la rejeter directement en mer. Elle tente d’obtenir l’accord des pêcheurs, en vain pour le moment.

 

A l’automne dernier, une majorité des 6 000 personnes qui travaillaient chaque jour sur le site de la centrale accidentée était engagée dans la bataille de l’eau contaminée. Ce chiffre est passé à 7 000 par jour et cela ne suffit toujours pas car la culture de la compagnie n’a guère changé. La pénurie de main d’œuvre qualifiée et la sous-traitance en cascade aggravent la situation. Depuis le début de la catastrophe, 40 000 personnes ont travaillé sur le site de la centrale accidentée.

 

TEPCo avait découvert, en janvier 2014, que la contamination de l’eau de pluie évacuée vers la mer était particulièrement élevée dans un drain. Elle a prévenu l’autorité de régulation nucléaire, la NRA, qui lui a demandé de trouver la cause. La compagnie a d’abord suspecté la contamination des sols : elle les a donc couverts, a nettoyé les drains, et multiplié les contrôles, mais la contamination de l’eau n’a pas baissé. TEPCo n’a rien dit à personne. Elle n’a pas signalé non plus que la contamination augmentait avec la pluie. Ce n’est qu’en février 2015, suite une autre fuite qui a déclenché une alarme, qu’elle a averti la NRA.

 

Suite aux fuites qui ont fait scandale par le passé, TEPCo contrôle l’eau de pluie récoltée autour des cuves et a mis des alarmes sur les drains qui s’écoulent vers le port, mais n’a pris aucune mesure particulière pour le drain où l’eau était particulièrement contaminée, qui lui, se jette directement dans l’océan, sans passer par le port où la compagnie a installé des barrières pour limiter les transferts.

 

Comment TEPCo peut prétendre être très précautionneuse en surveillant l’eau pompée avant rejet dans l’océan et d’un autre côté être si négligente pour cette eau de pluie ? La compagnie a encore des progrès à faire en terme de culture de sûreté. Les pêcheurs sont furieux et se sentent trahis. Comme d’habitude, la compagnie s’est excusée pour l’inquiétude créée, alors que ce n’est pas le seul scandale dû à la négligence.

 

 

La menace des piscines de combustible

 

Les piscines de combustible usé ont inquiété au début de la catastrophe nucléaire car elles ne sont pas protégées par l’enceinte de confinement. Si une secousse sismique ou une explosion provoquait une fissure et qu’il n’était plus possible de refroidir le combustible, il aurait fondu et dégagé une énorme quantité de radioéléments. La première semaine, le premier ministre avait sur son bureau le scénario du pire qui consistait en la fusion des combustibles de la piscine n°4, la plus chargée. Une estimation rapide avait montré qu’il aurait alors fallu évacuer jusqu’à environ 250 km de la centrale et donc probablement une partie de l’agglomération de Tôkyô. Le renforcement de la structure de soutènement de la piscine n°4 avait été une priorité dans les premiers mois.

 

TEPCo a fini de vider cette piscine le 20 décembre dernier. C’est une belle prouesse. Les combustibles usés sont dans la piscine commune de la centrale de Fukushima daï-ichi, qui est au niveau du sol. Les combustibles neufs sont dans la piscine du réacteur n°6.

Reportage à la piscine n°4 (source AFP)

Reportage à la piscine n°4 (source AFP)

Pour cela, la compagnie a dû démanteler toute la partie haute du bâtiment réacteur et reconstruire une structure neuve par dessus le tout. Le réacteur n°4, dont le cœur était entièrement déchargé en mars 2011, ne constitue donc plus une menace et son démantèlement se fera plus tard. Réduire la menace des autres réacteurs est la priorité.

 

La compagnie va s’attaquer aux trois autres réacteurs accidentés, en commençant pas le réacteur n°3 qui est très endommagé et dont la piscine contient du combustible MOx, très chargé en plutonium. Contrairement au réacteur n°4, il y a eu fusion des cœurs dans les réacteurs 1 à 3 et le débit de dose ne permet pas aux êtres humains d’y travailler.

 

TEPCo a commencé à démanteler le réacteur n°3 à l’aide de grues télécommandées. Cela n’a pas été sans incidents, mais elle a fini pour la partie haute. Le débit de dose y est si élevé qu’il faut trouver un moyen de l’atténuer suffisamment avant de construire une nouvelle structure tout autour. Ce n’est pas gagné pour le moment.

 

Contrairement au réacteur n°4, le démantèlement du n°3 a conduit à des rejets conséquents de poussières radioactives qui ont été détectées à grande distance. En août 2013, ces dégagements ont même conduit au déclenchement d’alarmes de surveillance et à la contamination de travailleurs qui attendaient le bus. Il faudra à TEPCo du temps pour soupçonner les poussières comme étant la cause des problèmes. L’incident semblait clos. Mais, en juillet 2014, le ministère de l’agriculture révèle que du riz récolté à Minami-Sôma à l’automne 2013 était contaminé au-delà de la limite de mise sur le marché, alors que ce n’était pas le cas l’année précédente. Le ministère soupçonne les retombées de poussières émises lors du démantèlement du réacteur n°3 durant l’été 2013. Les rizières affectées sont au-delà de la zone d’évacuation de 20 km.

 

 

Des rejets dissimulés

 

Le maire et les habitants de Minami-Sôma sont furieux, car ni TEPCo, ni le gouvernement, ne leur ont signalé les retombées radioactives sur la commune. On apprendra plus tard que ce sont des chercheurs de l’université de Kyôto qui ont alerté les autorités : ils contrôlaient la contamination des aérosols à Fukushima et ont détecté plusieurs pics de pollution radioactive. Le ministère a fait le lien avec le riz contaminé et a abordé ce problème avec TEPCo en mars 2014 sans prévenir la commune.

 

TEPCo a fini par reconnaître que le 19 août 2013, les travaux de démantèlement sur le réacteur n°3 ont entraîné un rejet aérien de 4 térabecquerels (4 000 milliards de becquerels), ce qui est 10 000 fois plus que les rejets habituels. Rien sur les autres pics. Ce chiffre sera revu à la baisse des mois plus tard. Et il faudra attendre le 31 décembre 2014 pour découvrir le pot aux roses : contrairement au réacteur n°4, TEPCo a négligé d’asperger une résine pour fixer les poussières avant de démanteler. Et quand cette résine, généralement utilisée pour fixer les poussières d’amiante, était aspergée, la dilution du produit était trop forte. Pour le fabricant, c’est comme avoir aspergé de l’eau. Suite aux problèmes, TEPCo a repris les procédures normales à partir d’octobre 2013, sans rien dire à personne. Pas vu pas pris. Les mauvaises pratiques auront duré presque un an ! La compagnie n’a pas été punie, mais s’est excusée pour l’inquiétude provoquée.

 

Cette affaire a entraîné un « glissement du calendrier » des travaux sur le réacteur n°1. Il est donc difficile de savoir quand les autres piscines seront vidées. Au-delà des piscines, il y a le combustible fondu qui a percé la cuve des réacteurs et qu’il faut continuellement refroidir en l’arrosant. TEPCo ne sait pas où il est exactement. La réduction de la menace que représentent les réacteurs accidentés va prendre des décennies. Après, la compagnie pourra envisager le démantèlement. Se pose aussi le problème des déchets radioactifs pour lesquels le Japon n’a aucune solution à proposer.

 

En attendant, l’environnement plus ou moins proche de la centrale nucléaire peut à nouveau être fortement contaminé suite à un accident. Que se passera-t-il en cas de forte secousse ou de nouveau tsunami ? Même sans accident, il est fort probable qu’il y ait encore des rejets intempestifs qui viennent s’ajouter aux rejets de routine. Chikurin, le laboratoire citoyen monté à Tôkyô avec le soutien de l’ACRO, a mis au point une méthode de prélèvement des poussières facile à mettre en œuvre à l’aide d’un simple linge suspendu. Elle a été comparée à des méthodes plus lourdes, avec préleveur automatique et filtre, et donne des résultats comparables.

 

Ces rejets inquiètent les habitants qui ne sont pas prêts à rentrer, même si, officiellement, ce ne sont plus ces retombées radioactives qui auraient contaminé le riz de Minami-Sôma. Mais les autorités n’ont aucune autre explication.

 

 

Le retour des populations

 

Il y a encore officiellement presque 120 000 personnes évacuées à cause de la pollution radioactive. L’indemnisation coûte cher aux autorités qui avancent l’argent à TEPCo. Elles rêvent donc d’une catastrophe réversible avec un retour des populations. L’ordre d’évacuer a été levé dans deux districts et l’indemnisation se tarira un an plus tard.

Baraquements de réfugiés (© Eric Cordier)

Baraquements de réfugiés (© Eric Cordier)

Le gouvernement a divisé la zone évacuée en trois sous-zones en fonction du débit de dose. Il prévoit un retour rapide dans celle où l’exposition est inférieure à 20 millisieverts par an. Cela correspond à la limite fixée pour l’évacuation en 2011. A l’époque, le Japon s’était vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse des recommandations internationales. Mais la phase d’urgence est terminée depuis longtemps. Il est alors recommandé de fixer des niveaux de référence dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an.

 

Le Japon est en train de comprendre que la transition entre la situation d’urgence et la gestion à long terme des territoires contaminés est complexe. Comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

 

Le Japon a bien adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans donner de calendrier. La politique actuelle de retour des populations dans les zones évacuées est toujours basée sur une limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. Cette limite n’avait pas été acceptée par beaucoup au moment de l’urgence et elle n’est toujours pas acceptée pour le retour. Ainsi, de nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a de petits enfants. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus basse, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

 

Ces doses annuelles sont estimées en supposant que les personnes passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre. 20 mSv se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure par la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour.

 

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La ville de Daté s’est fixé une limite à 5 mSv mesurés par ces « glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération.

 

Tous les élus ne sont pas convaincus et le conseil municipal a organisé, en janvier 2015, un séminaire avec un représentant de l’association Fukurô-no-kaï et le fabriquant du dosimètre, Chiyoda Technology. Lors de la réunion, le représentant associatif a souligné les limites de la méthode : il importe de protéger chacun. On ne peut pas se contenter de moyenne, comme le font les autorités. Par ailleurs, ces dosimètres sous-estiment la dose quand on vit dans un environnement entièrement contaminé. Lors de la réunion, le directeur de Chiyoda Technology a reconnu les faits et s’est excusé de ne pas l’avoir signalé. Suite à la parution d’un compte-rendu dans la presse, le site Internet de la compagnie reconnaît que les dosimètres sous-estiment la dose reçue de 30 à 40%. L’IRSN, qui commercialise ces dosimètres en France et accompagne le maire de Daté dans le cadre d’Ethos in Fukushima, n’aurait pas jugé utile d’apporter cette information ?

 

Pas étonnant que les habitants hésitent à rentrer. Est-ce cela l’avenir que l’on veut proposer à ces enfants ? Tout contrôler, ne pas s’aventurer au-delà des zones non décontaminées… Selon l’Agence de la reconstruction, qui a sondé les habitants des territoires évacués de la province de Fukushima entre août et octobre 2014, seulement 19,4% des habitants de Namié originaires d’une zone où l’ordre d’évacuer va être levé, car l’exposition externe y est inférieure à 20 mSv par an, veulent rentrer. C’est 14,7% dans la même zone à Tomioka. Il s’agit souvent des personnes les plus âgées.

Carte des 3 zones (source METI)

Carte des 3 zones (source METI)

Pour les zones de « non-résidence », où l’exposition externe avant les travaux de décontamination est comprise entre 20 et 50 mSv par an, ces pourcentages descendent à 16,6% pour Namié et 11,1% pour Tomioka. Enfin, pour les zones classées en « retour difficile » car l’exposition externe avant décontamination y est supérieure à 50 mSv par an, 17,5% des personnes concernées à Namié espèrent pouvoir rentrer un jour. C’est 11,8% pour Tomioka.

 

Il faut donc s’adapter. Avant la catastrophe, il y avait 5 lycées dans les 8 communes évacuées du district de Futaba avec 1 500 élèves. Les cours continuent dans les villes refuge, mais il n’y avait plus que 337 élèves inscrits en mai 2014, juste après la rentrée scolaire. Un nouveau lycée va ouvrir à Hirono à la rentrée prochaine, en avril 2015, à la place des 5 lycées abandonnés qui fermeront officiellement en avril 2017. Il y aura un pensionnat car les enfants vivent loin du futur lycée.

 

Deux cliniques qui étaient en zone évacuée, dans le district d’Odaka à Minami-Sôma et à Namié, vont licencier le personnel car les indemnisations de TEPCo s’arrêtent. Seuls les directeurs restent en poste pour trouver une façon de rouvrir. 45 personnes dans chaque clinique vont perdre leur emploi. Deux autres cliniques ont déjà fermé définitivement après la catastrophe nucléaire. Minami-Sôma espère lever l’ordre d’évacuer en avril 2016 et Namié en 2017. S’il n’y a plus de services de soins, le retour sera plus difficile.

 

Les autorités se doivent de laisser le choix aux populations quant à leur retour, sans discrimination, et les aider à refaire leur vie, quel que soit le lieu de résidence choisi. Au-delà du rétablissement de conditions de vie digne, se pose, à plus long terme, le problème du devenir des territoires et des immenses volumes de déchets radioactifs.

 

 

Les déchets radioactifs

 

Que ce soit en territoires évacués ou en zone contaminée, les déchets radioactifs issus des travaux de décontamination s’accumulent. A Fukushima, il devrait y en avoir 30 millions de mètres cube. Les autorités veulent les entreposer sur un site de 16 km2 qui entoure la centrale de Fukushima daï-ichi dans les communes d’Ôkuma et Futaba. Pour vaincre la réticence des habitants, les autorités se sont engagées, par la loi, à reprendre ces déchets au bout de 30 ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Qui peut croire qu’il sera possible de trouver un site et de transporter à nouveau 30 millions de mètres cube ? Le nombre de voyages en camion pour apporter ces déchets se compte aussi en millions. Si les autorités locales ont donné leur accord, les propriétaires des terrains refusent de vendre ou même de louer. Le processus est bloqué. Un sondage effectué en avril 2014 a montré que 82,7% des habitants de Fukushima ne croient pas à cette fable des 30 ans. Le gouvernement n’a donné aucune piste sur la façon dont il compte s’y prendre.

 

Dans les autres provinces aussi la situation est bloquée. Le gouvernement a trouvé des sites de stockage définitif cette fois-ci mais les riverains et les maires des communes proches s’y opposent. Ils ont barré l’accès aux ingénieurs venus étudier les terrains.

 

Même en temps normal, il est difficile de trouver un site d’accueil pour les déchets radioactifs. Après un accident de grande ampleur, c’est encore plus difficile car les populations ont moins confiance dans les autorités et le volume de déchets est beaucoup plus grand. Le gouvernement maintient sa politique traditionnelle qui consiste à « décider, annoncer et défendre ». Le précédent ministre de l’environnement avait expliqué que l’argent viendrait à bout des réticences. Les faits lui donnent tord. L’accord des élus locaux ne suffit pas.

 

En attendant, les déchets s’accumulent partout. Il y a plus de 54 000 sites d’entreposage temporaire. A Iitaté, par exemple, ils couvrent un tiers des 800 hectares de surfaces agricoles. Souvent, le bail pour l’utilisation du terrain arrive à échéance sans qu’il y ait de solution en vue. Dans les zones non évacuées, les maires et les populations ne veulent pas garder les déchets et souhaitent leur départ au plus vite. Des enfants ont été vus jouer sur ces montagnes de sacs radioactifs. Parfois, l’emballage ne tient pas.

Déchets à Tomioka (source Japan Times)

Déchets à Tomioka (source Japan Times)

 

La catastrophe au quotidien

 

Au-delà de ces défis insurmontables, tout le parc nucléaire japonais est à l’arrêt complet depuis septembre 2013. Seuls quatre réacteurs ont vu leur dossier de sûreté validé et il n’y aura probablement pas de redémarrage avant l’été. D’un autre côté, 5 réacteurs anciens devraient être officiellement arrêtés définitivement. Ce n’est qu’un début. Dans ce contexte, le gouvernement peine à définir sa politique énergétique, même s’il s’est engagé à rendre sa copie avant la conférence sur le climat de Paris.

 

Mais ce sont surtout les populations qui souffrent. Il y a encore 120 000 évacués de la catastrophe nucléaire qui ne savent de quoi leur avenir sera fait. Beaucoup vivent encore dans des préfabriqués peu confortables. Les familles sont parfois éclatées. Que faire quand les indemnisations s’arrêteront ? Dans les territoires contaminés, les enfants ne jouent plus dehors.

 

Et il y a les cancers de la thyroïde qui sont source d’inquiétude. L’université médicale de Fukushima, mandatée par les autorités, a ausculté une première fois la thyroïde de 368 000 enfants. Parmi eux, 86 enfants avaient un cancer confirmé et 23 autres suspecté. Des examens complémentaires sont en cours. Il y a un cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention chirurgicale. Le taux d’occurrence observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7 cas sur 100 000 enfants à Miyagi.

 

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années, fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande. Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour préserver la confidentialité des données patients et les autorités régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical.

 

Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la province. 8 enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les 7 autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17 ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6 et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans les catégories A lors du premier dépistage, signifiant « pas de problème ».

 

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés B et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2%, avaient été classés A lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin.

 

 

La catastrophe ne fait que commencer

 

Force est de constater que la catastrophe ne fait que commencer. Les défis auxquels fait face le pays sont immenses. Même en temps normal, il n’est pas simple de démanteler une installation nucléaire ni de trouver une solution pour les déchets. Les fuites d’eau contaminée sont difficiles à colmater dans un environnement si hostile. Les problèmes sont exacerbés après une catastrophe et des populations souffrent. Mais ni TEPCo ni le gouvernement n’ont changé. Les excuses répétées n’y changent rien. Selon un sondage récent, 71% des habitants de Fukushima ne sont pas satisfaits par la gestion de la crise par le gouvernement et TEPCo.

 

La compagnie fait preuve de négligences si elle n’est pas contrôlée strictement. Les quelques exemples présentés ici affectaient l’extérieur du site et sont donc connus. Il y a beaucoup d’autres problèmes qui restent internes. Des ouvriers ont, par exemple, actionné le mauvais interrupteur et mis en marche une pompe de secours qui a déversé de l’eau contaminée dans un sous-sol. Il leur a fallu plus d’un mois pour se rendre compte de la bourde. Deux ouvriers sont décédés en janvier et la compagnie a dû revoir toute la sécurité des travailleurs. Dans de telles conditions, comment peut-elle prétendre pouvoir exploiter du nucléaire à sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa ?

 

Quant au gouvernement, il est toujours dans sa stratégie « décider, annoncer, défendre » qui laisse peu de place à la concertation alors qu’il lui faudrait être plus à l’écoute des populations et inventer de nouvelles formes de démocratie plus participatives. Car les initiatives citoyennes sont nombreuses et ne demandent qu’à être reconnues et encouragées. Dans les années à venir, de nouvelles difficultés vont surgir avec la fin de l’indemnisation des victimes sans que les problèmes soient réglés.

 

David BOILLEY

 

Toutes ces informations sont détaillées sur le site Fukushima.eu.org

 

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Photo d’entête : le bâtiment réacteur 3 en 2012

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25 décembre 2014 4 25 /12 /décembre /2014 12:27

S’adressant au ministre de l’Économie du Japon, Brian Victoria revient sur le procès intenté à Tepco par des « marines » américains, pour avoir été irradiés durant l’opération humanitaire menée au large de Fukushima après la catastrophe du 11 mars 2011.

Risqué ? Les membres de l'équipage de la marine américaine nettoient le pont d'envol pour éliminer la radioactivité du porte-avion USS Ronald Reagan le 23 mars 2011.| AP

Risqué ? Les membres de l'équipage de la marine américaine nettoient le pont d'envol pour éliminer la radioactivité du porte-avion USS Ronald Reagan le 23 mars 2011.| AP

Des entreprises nucléaires accusées de négligence dans une cour américaine à propos des retombées de Fukushima

 

 

Titre original : “Question of negligence hangs over nuclear firms in U.S. case over Fukushima fallout

Traduction : Odile Girard (Fukushima is still news)

 

 

Au ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, M.Yoichi Miyazawa,

 

Monsieur le Ministre,

 

Comme vous le savez peut-être, un juge fédéral américain a décidé récemment qu’une action collective pouvait être engagée par quelque 200 marins américains contre Tokyo Electric Power Company et d’autres défendeurs à qui ils attribuent la responsabilité de maladies provoquées par l’exposition à la radioactivité suite à la fusion des réacteurs nucléaires de Fukushima n° 1.

 

Les marins allèguent qu’en toute connaissance de cause et par négligence, Tepco a donné au public, en particulier la marine américaine, des informations fausses et trompeuses sur la véritable situation de la centrale nucléaire de Fukushima n° 1. Ils allèguent en outre que Tepco savait que les marins de l’USS Ronald Reagan seraient exposés à des taux de radiation dangereux, parce que l’opérateur était au courant que trois des réacteurs nucléaires de la centrale avaient déjà fondu (1).

 

À cet égard, l’action en justice indique que le 14 décembre 2013, Naoto Kan, Premier ministre au moment de la catastrophe, a déclaré à un groupe de journalistes en parlant de la première fusion : «  Les gens pensent que ça s’est passé le 12 mars, mais la première fusion a eu lieu en fait cinq heures après le séisme. »

 

Les marins concernés participaient à l’Opération Tomodachi, une mission d’aide humanitaire engagée pour répondre aux demandes d’assistance du gouvernement japonais. En accord avec le Traité de sécurité États-Unis-Japon, ces marins ont littéralement risqué leur vie pour venir au secours et protéger la population japonaise.

 

Les marins ont neuf motifs de réclamation de dommages et intérêts ; ils accusent notamment Tepco de négligence et de manquement au devoir d’avertir des dangers et des défauts de conception dans la construction et l’installation des réacteurs. À ce jour, les marins souffrent de maladies - leucémie, ulcères, cancer du cerveau, tumeurs au cerveau, cancer des testicules, saignements utérins anormaux, maladies de la thyroïde, problèmes d’estomac – et toutes sortes d’autres affections inhabituelles chez des adultes aussi jeunes.

 

L’une des questions principales qui doivent être décidées par ce procès est de savoir qui paiera les traitements médicaux actuels et peut-être les traitements à vie des marins. Non seulement il va falloir faire face à des maladies spécifiques, mais il faudra aussi financer à l’avenir le suivi médical des marins eux-mêmes et de leurs enfants, pour surveiller notamment les risques de mutations génétiques radio-induites. En effet, certaines des particules radioactives inhalées par les membres de l’équipage ont des demi-vies longues, allant de six à 50, voire 100 ans.

 

Il n’y a aucun doute que le gouvernement japonais dispose d’une mine d’informations sur ce qui s’est réellement passé à Fukushima n° 1 et à quel moment. Il semblerait donc juridiquement et moralement souhaitable que le gouvernement partage ces informations sur Fukushima avec la Cour fédérale du district sud de Californie.

 

Ceci pourrait se faire par exemple par l’intermédiaire d’un mémoire d’amicus curiae, c’est-à-dire soumis par une personne non-partie à une procédure judiciaire mais qui est cependant en possession d’informations pertinentes pouvant éclairer la cour. Ma première question, Monsieur le Ministre, est la suivante : êtes-vous, vous-même et le Gouvernement japonais, d’accord pour soumettre ce genre de mémoire ?

 

Un point extrêmement important est que les constructeurs des réacteurs de Fukushima n° 1, General Electric, EBASCO, Toshiba and Hitachi, sont également les défendeurs. La raison est que les réacteurs des unités 1, 2 et 6 ont été fournis par General Electric, ceux des unités 3 et 5 par Toshiba et ceux de l’unité 4 par Hitachi. C’est toutefois General Electric qui a conçu les six réacteurs et les plans architecturaux ont été réalisés par EBASCO.

 

Notons en particulier que GE savait, il a déjà plusieurs décennies, que la conception de ses réacteurs de type Mark I installés à Fukushima était défectueuse. Il y a trente-cinq ans, Dale G. Bridenbaugh et deux de ses collègues de General Electric ont donné leur démission, après avoir acquis la conviction que la conception du Mark I était si défectueuse qu’elle pouvait provoquer un accident catastrophique. Ils ont témoigné publiquement devant le Congrès américain de l’incapacité du Mark I à faire face aux niveaux de pression énormes qui résulteraient d’une perte du système de refroidissement du réacteur.

 

Leurs inquiétudes ne se sont révélées que trop exactes à Fukushima n° 1, une catastrophe qui est loin d’être terminée, vu la contamination radioactive massive et incessante de l’océan.

 

Compte tenu de tous ces éléments, Monsieur le Ministre, je me permettrai de terminer ce message avec une dernière question : pourquoi le Gouvernement japonais n’a t-il pas, comme l’ont fait les marins américains, engagé des poursuites contre les entreprises susnommées pour établir leur responsabilité légale ? En d’autres termes, pourquoi la population japonaise devrait-elle payer les actes potentiellement négligents de certaines des plus grandes entreprises mondiales ?

 

BRIAN VICTORIA

Auteur de Zen at War, ancien directeur du Programme d’Études bouddhistes au Japon de l’Université d’Antioch. Brian vit actuellement à Kyoto.

 

 

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Note du blog de Fukushima

 

(1) Effectivement, Tepco savait que les cœurs avaient fondu. L’opérateur a attendu le mois de mai 2011 pour divulguer l’information. Il porte donc la lourde responsabilité d’avoir caché une information cruciale. Mais que penser de la responsabilité de l’armée étatsunienne ? Comment imaginer que ce porte-avion militaire ne disposait pas d’appareils de mesure de la radioactivité ? Qui a donné l’ordre d’envoyer des soldats nettoyer le pont sans masque ni combinaison "adéquate" (en réalité, il n’existe pas d’équipement adéquat face aux rayons gamma qui traversent toute chose) ? Incompétence, ignorance ou ordre en connaissance de cause ?

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5 octobre 2014 7 05 /10 /octobre /2014 17:19

Mari Takenouchi se bat pour l’évacuation des enfants et des femmes enceintes des territoires contaminés par la catastrophe nucléaire de Fukushima. Dans un billet du mois d’août 2014, elle rapporte une information qui a été peu diffusée, à savoir que pour deux enfants atteints du cancer de la thyroïde, des métastases s’étaient propagées aux poumons.

Elle revient également sur les attaques qu’elle continue de subir. Malgré la suspension des charges dont elle avait fait l’objet suite à la plainte d’une responsable d’Ethos à Fukushima, Ryoko Ando (alias Yoko Kamata), des trolls et des harceleurs diffusent des infos calomnieuses comme quoi elle serait paranoïaque et coupable de fraudes. Manifestement, son combat entre en conflit avec des intérêts politiques et économiques.

Parallèlement, Jan Hemmer, un de ses amis militant en Allemagne, a également reçu des messages hostiles après avoir soutenu Mari Takenouchi dans son blog .

A partir du 10 décembre 2014, la loi de protection des secrets d’Etat va être appliquée au Japon. Ce qui est arrivé à Mari Takenouchi préfigure ce qui peut se passer : un simple tweet pourra envoyer quelqu’un en prison. C’est pourquoi il est important de soutenir les journalistes et les blogueurs qui continuent à informer sur ce qui se passe dans les centrales nucléaires japonaises, sur la réalité de la contamination et sur les conséquences sanitaires de la catastrophe nucléaire en cours.

 

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Des métastases aux poumons retrouvés chez des enfants de Fukushima atteints de cancer de la thyroïde


Mari Takenouchi

 

Source : http://savekidsjapan.blogspot.fr/2014/08/2-thyroid-cancer-fukushima-kids-had.html

Traduction : Cécile Monnier

 

Aujourd’hui [29 août 2014], j’ai appris une nouvelle très triste par l’Agence Kyodo News. Deux enfants de Fukushima atteints d’un cancer de la thyroïde avaient aussi des métastases dans leurs poumons.

 

Je réclame l’évacuation des enfants et des femmes enceintes depuis les tout premiers instants après l’accident de Fukushima.

 

Quelles que soient les précautions que l’on prend pour manger, personne ne peut s’arrêter de respirer. J’ai eu moi-même des toux persistantes après avoir été exposée à la radioactivité à Tokyo le 15 mars, et ce dont j’ai eu le plus peur, c’était d’avoir un cancer des poumons.

 

J’ai visité Fukushima une seule journée, à l’automne 2011. Ce jour-là, mon échine s’est glacée quand j’ai vu des affiches annonçant la tenue d’un marathon féminin à Fukushima.

Des métastases aux poumons retrouvés chez des enfants de Fukushima atteints de cancer de la thyroïde

Après ça, j’ai appris que même des marathons pour enfants étaient organisés dans des zones avec des doses correspondant aux zones où l’on contrôle la radioactivité.

Des métastases aux poumons retrouvés chez des enfants de Fukushima atteints de cancer de la thyroïde

NHK, une chaine japonaise de télévision publique, n’évoque jamais l’incidence du cancer de la thyroïde dans la préfecture de Fukushima (alors qu’elle le fait sur NHK International, mais jamais dans les programmes domestiques), et à la place, elle continue de couvrir les événements sportifs en extérieur et la cueillette des fruits par les enfants à Fukushima.

 

NHK diffuse des programmes qui encouragent les habitants des zones contaminées à rentrer chez eux, et ils ne parlent jamais de ces questions graves.

 

Pendant ce temps, j’ai été accusée pénalement par un leader d’ETHOS, une ONG de Fukushima qui encourage les habitants à rester vivre chez eux, et j’ai été menacée par d’innombrables trolls sur Internet.

 

Je crois vraiment qu’un gouvernement ou un média qui ignore la santé/ la vie de ses propres enfants est fou.


http://takenouchimari.blogspot.jp/2014/08/pm-abe-tried-to-hid-donation-from-nhknhk.html

En outre, récemment, le Premier ministre Abe a été pénalement accusé d’avoir dissimulé le don fait par le producteur en chef de la NHK à son organisme de gestion de campagne, mais la NHK a ignoré ce scandale important.
 

Je veux que ces faits soient connus de tous les citoyens éveillés du monde.




 

De Kyodo News


Le 28 août, à la Société Japonaise de Traitement du Cancer, le professeur Shinichi Suzuki de l’Université de Médecine de Fukushima a présenté des exemples concrets d’enfants ayant ou étant soupçonnés d’avoir un cancer de la thyroïde, à partir des examens de la thyroïde réalisés dans le cadre du suivi de la population de la préfecture de Fukushima après l’accident de Fukushima Daiichi.

Après avoir expliqué son point de vue selon lequel l'influence de l'accident nucléaire serait faible, il a souligné, que "son traitement était conforme à la norme."
Les examens de la thyroïde ont été réalisés sur 370 000 enfants de moins de 18 ans vivant dans la préfecture de Fukushima au moment de l’accident. Les cas [note des traducteurs : de cancer] confirmés sont au nombre de 57 et les cas suspectés 46. Comparé à l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, le professeur Suzuki a déclaré : « Aussi bien les symptômes que la distribution des âges sont différents ».

Sur les 54 patients atteints d’un cancer de la thyroïde qui ont été opérés à l’Université de Médecine de Fukushima [note des traducteurs : 3 patients ont été opérés ailleurs], plus de 80% avaient une tumeur d’une largeur supérieure à 10mm, ou une métastase sur les ganglions lymphatiques ou d’autres organes, qui a nécessité une opération. Deux avaient des métastases dans les poumons.

Les 9 derniers patients avaient des tumeurs inférieures à 10 mm, sans métastase. Mais, selon le professeur Suzuki, « 7 d’entre eux avaient un cancer proche des voies respiratoires et l’intervention chirurgicale était une bonne décision ». L’opération des deux derniers aurait pu attendre un examen ultérieur, mais ils ont été opérés à leur demande et à celle de leurs familles.

90% des patients ont subi une ablation de seulement la moitié de la thyroïde.
Pour le cancer de la thyroïde à Fukushima, quelques experts ont demandé « N’y avait-il pas de cas où la chirurgie n’était pas nécessaire ? » et l’appel à la divulgation des données des patients prenait de l’ampleur.

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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 16:35
Le mythe de la sûreté nucléaire

Deux articles parus ces derniers jours permettent de comprendre comment le Japon manipule l’opinion pour faire revenir les habitants évacués dans les zones contaminées et relancer son programme nucléaire. Les autorités prétendent qu’en dessous de 100 mSv/an, il n’y aurait pas de danger sanitaire alors que des études scientifiques prouvent le contraire. Selon un membre de l’AIEA, « tout est une question de communication, et il s’agit d’abord de calmer les inquiétudes « irraisonnées » des populations dues, selon lui, au terme « contamination » qui (…) fait peser sur l’irradiation une image négative », rapporte Cécile Asanuma-Brice dans sa dernière tribune intitulée « La légende Fukushima ».

Kolin Kobayashi revient quant à lui sur le programme Ethos qui, expérimenté sur les populations vivant en territoire contaminé par Tchernobyl, est maintenant appliqué sous d’autres formes – publication 111 de la CIPR par exemple – et aboutit aux mêmes recommandations pour la population de Fukushima. Il permet de demander localement une participation active des habitants, ce qui les rend responsables de la catastrophe dont ils sont pourtant victimes. Il permet également d’imposer une norme annuelle entre 1 et 20 mSv/an pendant la « période de reconstruction » et de 20 à 100 mSv/an dans une période d’urgence.

Ce qui se passe pour les populations vivant en territoires contaminés autour de Tchernobyl et de Fukushima sera bien évidemment appliqué dans n’importe quel pays du monde où aura lieu la prochaine catastrophe nucléaire. En France, la norme actuelle est 1 mSv/an, mais s’il y a un accident, ce sera 20 mSv/an et si vous avez la malchance d’habiter trop près du désastre, vous aurez droit à 100 mSv/an.

On comprend que les autorités nucléaires s’adaptent à toutes les situations, le curseur se déplaçant selon les circonstances, et l’idée rabâchée de la sûreté devient un véritable mythe.

PF

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La légende Fukushima

 

Cécile Asanuma-Brice

 

(extrait)

« Trois ans et demi après l’accident de Fukushima, le nombre de décès relatifs à l’explosion de la centrale nucléaire Tepco Daiichi de Fukushima ne cesse de s’accroître. Selon le journal Tokyo Shimbun, plus de 1 100 décès sont comptabilisés au 11 septembre. La population vieillissante, relogée dans des logements «provisoires», a été la première touchée. Le droit au refuge ne leur ayant pas été accordé, en dépit des recommandations faites par le rapporteur aux droits de l’homme de l’ONU, Anand Grover, suite à sa mission au Japon fin 2012, aucun accompagnement financier ne permet à ces habitants le relogement. Leurs conditions sanitaires se dégradent au fur et à mesure du temps qui passe, alors que d’autres décident de partir à leurs frais devant l’instabilité environnementale insupportable au quotidien. La chute dans une spirale de paupérisation touche une partie d’entre eux, livrée à la dépression et à l’alcoolisme. Les villes de Namie (333 décès), Tomioka (250 décès), Futaba (113 décès) et Okuma (106 décès), adjacentes à la centrale dont les fuites d’eau contaminée sont toujours hors de contrôle, comptent au total 802 décès, identifiés officiellement comme conséquents de l’explosion de la centrale (55 ont été enregistrés dans les six derniers mois). Le journal Fukushima Minpo tirait la sonnette d’alarme le 21 juin en rapportant les propos du ministère de l’Intérieur sur le nombre de suicides en recrudescence. La multiplication du nombre des cancers de la thyroïde doit également être prise en compte dans le bilan des conséquences sanitaires de l’explosion. Selon la commission d’enquête du département de Fukushima, 104 enfants de moins de 18 ans, parmi les 300 000 composants l’échantillon, ont été diagnostiqués comme atteints d’un cancer de la thyroïde. Les voix d’épidémiologues, à l’intérieur comme à l’extérieur du Japon, se lèvent pour contrer la position des experts de la commission départementale de Fukushima, selon laquelle ces cancers ne seraient pas conséquents de l’explosion. Ceux-ci « justifient » l’augmentation du nombre de cas par le perfectionnement des outils radiologiques actuels.

Dans la même logique d’une tentative de réconfort moral des habitants, et la double perspective de la réouverture de la zone d’évacuation afin d’y reloger la population au plus vite, et du redémarrage programmé de deux centrales en 2014, le ministère de l’Environnement soutient, dans un rapport du 17 août, qu’en-deçà de 100 msv/an, il n’y aurait aucune conséquence sur la santé. »

(…)

Lire en entier l’article de Cécile Asanuma-Brice

 

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Du projet Ethos au mythe d’une sûreté sereine,

ou "la gestion post-accidentelle" du lobby nucléaire

 

Kolin Kobayashi

 

(extrait)

« Le mythe d’une sûreté sereine à Fukushima

L’Autorité de régulation de l’énergie nucléaire du Japon a installé en septembre 2013 une équipe de réflexion sur les mesures de sûreté sereine pour le retour au sein de l’organisation. L’Autorité de régulation de l’énergie nucléaire, formée en majorité par les personnalités scientifique qui viennent du lobby nucléaire, fondée en sept 2012, est dans une contradiction absolue. Son premier article de la loi de fondation de la ladite autorité stipule à la fin de ces phrases : « l’Autorité a pour but de contribuer à assurer la vie, la santé, les biens du peuple, et la sécurité de l’environnement et de la nation. » En donnant son accord pour le redémarrage de la centrale Sendaï à Kagoshima, le Président de cette autorité, Shunichi TANAKA a confirmé clairement lors de sa dernière conférence de presse, que l’examen effectué ne garantit nullement la sécurité, mais se contente de vérifier si la demande de redémarrage est conforme selon ses réglementations. Avec en son sein, les nominations de membres pro-nucléaires il est clair qu’il y a un conflit d’intérêt fondamental et total. Assurer à la fois la sécurité de la population et défendre l’intérêt du lobby nucléaire est incompatible. Cette autorité pose un réel problème déontologique.

De surcroît, il faut préciser que l’équipe de réflexion sur les mesures de sûreté sereine pour le retour est composée toujours des même acteurs, notamment, Dr. NAGATAKI Shigenobu, le Prof. NIWA Otsura, et le Prof. BAN Nobuhiko.

Ces deux derniers membres japonais de la CIPR ont des liens très étroits avec Jacques Lochard, bien entendu. Le prof. Niwa prône officiellement la méthode Ethos pour convaincre la population qu’il n’y a pas de conséquence sanitaire. Leur méthode est d’appliquer la publication 111 de la CIPR, quintessence du projet Ethos-CORE. Les membres de la CIPR bénéficient bien entendu de subventions de la part de l’association des opérateurs électro-nucléaires par le biais de REA, Radiation Effects Association.

Toutes les mesures qui ont été prises par le gouvernement pour le retour en zone contaminée, sont en parfait accord avec l’esprit Ethos. Lochard a d’ailleurs déclaré à l’Asahi Shimbun qu’on n’avait pas besoin de refaire Ethos au Japon parce qu’il y était d’emblée déjà bien établi.

Ce 17 aout, le gouvernement japonais a lancé une campagne d’information dans les journaux nationaux et locaux de Fukushima, intitulée « Ayons une connaissance véritable sur la radiation ». Dans cette annonce gouvernementale, sont citées quelques lignes de la conférence de M. Rethy Keith Chhem de l’AIEA et du prof. NAKAGAWA Keiichi, radiologue de l’université de Tokyo. Ce dernier prétend qu’il n’y a pas de conséquence grave à une exposition de moins de 100 mSV /an. Le premier explique qu’il y a des radiations naturelles partout et qu’on utilise aussi des rayonnements ionisants pour la médecine, des arguments qui banalisent la radioactivité de Fukushima. »

(…)

Lire en entier l’article de Kolin Kobayashi

 

 

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Photo d’entête : Unité 4 de Fukushima Daiichi, détail (source Tepco)

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:54

Quand, en 2011, la marine américaine se retrouve piégée par le nuage radioactif au large de Fukushima… A qui la faute ? Et que cherche-t-on à protéger en niant l’importance de la pollution subie ? C’est le sujet du troisième article de Jean-Marc Royer, tiré de son ouvrage inédit, "Le nucléaire, érotisation suprême et planétaire de la mort ".

 

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Atoms for peace [1], à la sauce baroque, au bas mot

 

 

Jean-Marc Royer

 

 

Une des obsessions du village nucléaire international est de cacher la nature et le niveau des effluents radioactifs émis durant les premiers jours de la catastrophe de Fukushima après les explosions des réacteurs, car il y a là de gigantesques enjeux économiques, juridiques et politiques internationaux. Or il vient de se produire un petit évènement gênant pour tous ces thanatologues et thanatopracteurs du nucléaire, comme si la vérité que l’on voulait absolument enfouir dans de profonds souterrains comme un déchet, venait inopinément de surgir à un endroit inattendu. Voici.

 

Participant à l'opération Tomodachi – amitié – déclenchée le 11 mars 2011, le porte avions à propulsion nucléaire de 100 000 tonnes USS Ronald Reagan, sur lequel servaient 5 500 personnes [2] s’était dérouté afin de servir de plate-forme de ravitaillement et de zone de transit pour les victimes et arrivait le lendemain aux abords de Fukushima (environ 3 km). Malheureusement, le vent soufflant vers la mer ce jour là, le navire était pris dans une sorte de « nuage inattendu », les hommes sur le pont se retrouvant enveloppés par une moiteur qui leur laissait dans la bouche « comme une sorte de goût métallique », le même que certains riverains avaient pu sentir lors du dégazage de Three Mile Island : ces personnels allaient être parmi les premiers à être exposés au panache de rayonnements dus à l’explosion du bâtiment-réacteur n°1 à 15h36. Les niveaux d'exposition sur le navire et sur les chaussures des militaires s’avérèrent être étonnamment élevés. De plus, les marins, comme à leur habitude, avaient utilisé l'eau de mer dessalée grâce aux dispositifs internes, pour cuisiner, se doucher, ainsi que pour tous leurs autres besoins avant que cela ne leur soit interdit. Cette situation dura dix heures avant que le bateau ne soit repositionné à plus de 100 km et que des mesures supplémentaires soient prises. Selon le Huffington Post du 27 février 2014 « des retombées graves ont été également apparemment trouvées sur les hélicoptères qui revenaient des missions de secours. […] à 100 mètres devant, l'hélicoptère lisait 4 sieverts par heure.[3] » Pour mémoire, le 16 mars, la US Nuclear Regulatory Commission portait la zone d’exclusion à 80 km de Fukushima, le 17 le département d’Etat publiait un mémo recommandant l’évacuation du Japon à tous ses ressortissants, personnels de l’ambassade et de la défense compris, et le 21 mars la prise d’iodure de potassium était recommandée jusqu’à 320 km de Fukushima. Ensuite de quoi des considérations diplomatiques et la prise en compte des intérêts de l’industrie nucléaire ont rapidement atténué des recommandations trop visibles …

 

La marine a toujours argué depuis le début que le porte-avions n’était pas contaminé, mais ni le Japon, ni la Corée du Sud, ni même l'île de Guam ne l’ont autorisé à venir à quai après cette mission. Depuis, le navire, après quelques épisodes, est finalement allé en cale sèche 14 mois à Bremerton, dans l'état de Washington, près de Seattle, pour un soi-disant « grand entretien et une remise à niveau » puis en est reparti en mars 2013 vers San Diego ; mais selon son capitaine, il semble que sa fin approche. Dans le Pacifique, tôt ou tard, il pourrait se faire définitivement oublier dans un de ces nombreux cimetières marins où il sera mis en pièces à mains nues par les esclaves des temps modernes qui y laissent leur peau, puisque c'est là que de nombreux navires terminent leur course.

 

Mais les marins connaissent depuis leur retour des problèmes de santé rares et gravissimes pour des personnes aussi jeunes : leucémies, dégénérescence du nerf optique, cancer de la thyroïde, des appareils génitaux et du cerveau. En avril 2012, le lieutenant Steve Simmons, un sportif, était hospitalisé pour une inflammation des ganglions lymphatiques, mais bientôt ses jambes ne le porteraient plus : il se déplace maintenant en fauteuil roulant. A trente cinq ans, il a été mis à la « retraite pour raison médicale » en avril 2014. Mathew Bradley, lui, a contracté une maladie dégénérative de la colonne vertébrale. Une femme de la Navy affirmait quant à elle : « pendant l'opération Tomodachi, j'ai commencé à avoir des migraines, des cycles menstruels irréguliers. Après, j'ai dû avoir recours à des opérations du genou, du sein et de la jambe pour enlever des excroissances » et l’épouse d’un marin a rapporté « qu’à la suite de cette exposition, notre fils, qui est né le 14 novembre 2012, a été diagnostiqué à huit mois avec le cancer du cerveau et de la colonne vertébrale ». Etant donné le développement du droit aus Etats-Unis, il y subsiste encore des possibilités de recours, c’est ce qui a permis la class-action de quelques 81 marins du navire. Et grâce au Freedom of Information Act (FOIA), les plaignants – dont la majorité travaille toujours pour la Navy – ont eu accès aux transcriptions des conversations téléphoniques entre les fonctionnaires du gouvernement fédéral, les autorités nucléaires, les responsables de l'ambassade des États-Unis à Tokyo et le personnel militaire du Commandement Pacifique (PACOM) à ce moment-là. On y constate la véracité de leurs dires malgré la prudence de mise dans ce type d’échanges sensibles (The Asia-Pacific Journal, Vol. 12, Issue 7, No. 4, February 17, 2014). Mais selon l’avocat des plaignants, la Navy ne serait pas nécessairement en cause : le principal responsable serait Tepco qui n'aurait pas prévenu du fait que le cœur du réacteur n°1 avait fondu et que des éléments radioactifs avaient été projetés à l'extérieur de la centrale lors de l'explosion du bâtiment. Les enjeux dans cette affaire sont si importants que malgré le nombre de plaignants et la solidité de leurs dossiers médicaux, il existe un fort risque qu'elle soit classée sans suite. Ce fût d'ailleurs le cas une première fois en novembre 2013 pour « absence de preuves ».

 

Quels sont les enseignements provisoires de cette affaire ? Primo, il est dit dans ces transcriptions de conversations téléphoniques que « le niveau de radiations était tel qu’en 10 heures le seuil admis pour le public était atteint ». Traduction de cette novlangue : le seuil admis outre Atlantique étant de 15 mSv [4] annuels, cela signifie qu’en une heure l’irradiation était de 1,5 mSv, ce qui en France, aurait déjà constitué un dépassement du seuil annuel ! Je rappelle que selon le rapport de l’ECRR, si les marins étaient restés dans ces conditions deux semaines, ils avaient une chance sur deux de rester vivants après leur retour.[5]

 

Comme à Hiroshima, à Nagasaki, et comme dans tous les accidents majeurs qui ont eu lieu depuis 1945, l’enjeu capital de cette affaire réside dans la dissimulation des radiations émises dans les premiers jours, car c’est à ce moment-là qu’elles sont les plus importantes. Il en va de l’avenir de l’industrie et du village nucléaire international ainsi que de la pérennité des pouvoirs aux commandes des Etats nucléaires. Autrement dit, il faut absolument dissimuler au public la gravité des faits durant les premiers jours, sous prétexte d’éviter la panique, mais en réalité pour éviter tous les recours qui pourraient durer des décennies contre l’industrie, le village et les Etats nucléaires, quitte à en augmenter les dangers et le nombre de victimes futures. Ainsi, depuis 1945, l’histoire nous enseigne que pour les Etats et le village nucléaire international, « gérer une catastrophe », c’est avant tout en éviter les répercussions socio-politiques incontrôlées, la sécurité des populations passant au second plan étant donné qu’il sera toujours possible de contester tous les effets de cette catastrophe, à condition que la nature et la quantité des effluents émis durant les premiers jours soient drastiquement minimisées. Après tout, qu’y-a-t-il à craindre de pauvres gens qui tomberont malades dans quelques années ou dans trente ans, puisqu’il ne leur sera pas possible de prouver l’origine de leur cancer, et que les responsables de ce temps-là exerceront … d’autres responsabilités ou auront fait valoir leurs droits à la retraite chapeau avec parachutes dorés ?

 

Deuzio, on se souvient que Tepco avait « balladé » les journalistes du monde entier en cachant la fusion des cœurs des réacteurs durant dix semaines, le temps que l’actualité internationale de Fukushima refroidisse … Pendant tout ce temps, le village et les puissances nucléaires étaient évidemment au courant des fusions, mais l’omerta internationale a correctement fonctionné. Via leur système satellitaire et leurs capteurs au sol, les Etats-Unis (et vraisemblablement d’autres nations), sont capables de détecter les effluents d’une explosion atomique (par exemple en Corée du Nord) dans les minutes qui suivent celle-ci. A qui fera-t-on croire que les responsables de la marine de ce pays en charge du porte-avions Ronald Reagan n’étaient pas au courant de la fusion des cœurs des réacteurs à Fukushima ? Et quand bien même cela serait le cas, cela marquerait un grave dysfonctionnement des échanges entre les services de surveillance ad hoc et les forces armées de ce même pays, au détriment des personnels militaires et des réfugiés qu’ils étaient venus secourir.

 

Democraty now. http://www.natureetsciences.com/2014_03_01_archive.html

Democraty now. http://www.natureetsciences.com/2014_03_01_archive.html

Tertio, sur les photos de ce porte-avion (dont la marine nie encore l’irradiation), on peut voir une chose dont on est à chaque fois abasourdi, à savoir les moyens dérisoires utilisés contre la contamination radioactive : comme dans les années 1950, des files de marins bottés avaient été alignés et, armés de balais-brosse et de produit vaisselle, ils lessivent le pont du navire, comme à Fukushima on arrosait les bâtiments à la lance à incendie ou bien qu’on mettait ensemble des batteries de voitures pour désespérement palier au défaut de courant électrique dans les salles de contrôle-commande. Violent paradoxe que celui-là et qui se renouvèle à chaque fois : d’un côté ils nous vantent la modernité scientifique et la sécurité technique du nucléaire ad nauseam, de l’autre ils font appel à des ressources ridiculement inadaptées pour lutter contre ces catastrophes, signe de l’impuissance réelle de ces cow-boys face à ce qu’ils ont déclenché. Il faudrait demander à tous ceux qui soutiennent le nucléaire de s’engager publiquement, à l’avance et par écrit à servir dans un corps de volontaires pour aller sur les lieux de la prochaine catastrophe nucléaire puisqu’ils n’en excluent plus l’occurrence périodique !

 

Quarto, sur d’autres photos du pont de ce navire prises deux ans après, il est possible de voir les dizaines d’automobiles des marins qui n’ont pas été autorisés à les récupérer lorsqu’ils ont débarqué ! Sans doute serait-il fâcheux qu’ils irradient un peu trop leur famille, leurs voisins de garage ou bien que des oragnismes indépendants soient à même de confirmer la contamination épouvantable de véhicules bon pour le rebus comme des centaines de véhicules et d’hélicoptères avaient du être abandonnés dans des cimetières à ciel ouvert après Tchernobyl. Plus forte que Balladur ou Juppé, soyons sûrs que la marine US se chargera elle-même d’emmener les véhicules à la casse après avoir octroyé une prime royale à ses personnels afin qu’ils en achètent des neufs …

 

21 mars 2013, http://www.10news.com/news/uss-ronald-reagan-returns-to-san-diego-after-more-than-a-year-in-washington-state-032113

21 mars 2013, http://www.10news.com/news/uss-ronald-reagan-returns-to-san-diego-after-more-than-a-year-in-washington-state-032113

Au-delà de tous ces détails, ce qu’il faut réaliser, c’est que « la gestion des catastrophes nucléaires » consiste essentiellement à nier par tous les moyens l’importance de ses effluents dans les tous premiers jours [6], afin de préserver l’avenir du nucléaire, plutôt que de risquer une situation de révolte de type insurrectionnelle de la part d’une multitude de personnes qui n’auraient plus rien à perdre, pas même leurs vies, ni celle de leurs descendants. La militarisation de ces situations va dans le même sens évidemment. On comprendra dans ce cadre que l’ignorance des foules et leur encadrement soient essentiels. Ceci est tellement vital que le gouvernement japonais vient de prendre un « State Secrets Act » qui criminalise toutes les critiques et les lanceurs d’alerte : il s’agit-là encore une fois de la restriction démocratique des libertés démocratiques …

 

Jean-Marc Royer, mai 2014

 

_____________________

 

[1] Voir le second paragraphe.

 

[2] http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/atom-heart-fucker-16-qu-est-il-150906

 - http://www.natureetsciences.com/2014_03_01_archive.html

http://thelead.blogs.cnn.com/2014/02/19/did-fukushima-disaster-make-u-s-sailors-and-marines-sick/

 - http://japanfocus.org/-Kyle-Cleveland/4075

http://ecowatch.com/2013/12/11/japans-new-fukushima-fascism/

 

[3] http://www.huffingtonpost.com/harvey-wasserman/documents-show-the-navy-k_b_4859290.html

 

[4] Les Etats-Unis en sont restés aux recommandations 26 de la CIPR de 1977, contrairement à d’autres pays qui ont adopté celles de 1990.

http://www.akademia.ch/~sebes/textes/1998/Belbeoch/1998RB_norme77.htm

 

[5] Il faut avoir atteint, selon la CIPR 5000 mSv, soit en l’occurrence 139 jours pour « avoir 50% de chances de mourir » rapidement, mais l’ECRR préconise de diviser par dix ces « recommandations », ce qui correspond 2 semaines.

 

[6] Cf. à ce sujet les révélations du Guardian.

 

 

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Mise à jour : 12 octobre 2014 (phrase "mais selon son capitaine, il semble que sa fin approche. Dans le Pacifique, tôt ou tard, il pourrait se faire définitivement oublier dans un de ces nombreux cimetières marins où il sera mis en pièces à mains nues par les esclaves des temps modernes qui y laissent leur peau, puisque c'est là que de nombreux navires terminent leur course.") 

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13 septembre 2014 6 13 /09 /septembre /2014 15:35
De la gestion des flux migratoires par un État nucléariste dans un contexte de catastrophe nucléaire

Dans son numéro d’août-septembre, la revue Diplomatie (Les Grands Dossiers n° 22) a édité un nouvel article de Cécile Asanuma-Brice concernant la gestion des flux migratoires suite à la catastrophe de Fukushima, présentant des questions peu traitées jusqu'à maintenant comme le déplacement de la responsabilité de la catastrophe au niveau local et individuel, l’accès kafkaïen au dédommagement des victimes, l’anéantissement de l’interaction entre les habitants et leur territoire ou encore la stratégie d’endoctrinement utilisée par le gouvernement via une communication ciblée.

Le blog de Fukushima a choisi de publier une partie de cet article et propose sa lecture dans son intégralité en version pdf avec l’accord de son auteur.

 

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De la gestion des flux migratoires par un État nucléariste

dans un contexte de catastrophe nucléaire

 

 

Par Cécile Asanuma-Brice, spécialisée en géographie urbaine, chercheuse associée au Clersé – Université de Lille I et au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo (1).

 

 

Trois années se sont écoulées depuis le tremblement de terre suivi d’un tsunami le 11 mars 2011, qui, faut-il le rappeler, a engendré un accident nucléaire majeur à la centrale de Fukushima Dai-ichi, dans le Nord-Est du Japon. Au cœur de la gestion post-catastrophe, c’est celle des hommes et de leur mobilité qui est en jeu.

 

Nous avions, en décembre 2011, rédigé un bilan précis des dégâts provoqués par la catastrophe de Fukushima dans le secteur du logement, ainsi que du relogement des personnes victimes à la fois du tsunami, et de la contamination nucléaire qui s’est très largement répandue dans une partie de la préfecture de Fukushima et des départements voisins (2). Le gouvernement a fait état de 160 000 personnes déplacées, dont 100 000 à l’intérieur du département et 60 000 à l’extérieur. À la suite de la politique publique de retour à vivre dans les territoires en grande partie contaminés, l’estimation officielle est aujourd’hui de 140 000 personnes réfugiées : 100 000 personnes à l’intérieur du territoire et 40 000 à l’extérieur. Néanmoins, ces chiffres sont le fruit d’un système d’enregistrement extrêmement contraignant, auquel une partie non négligeable des habitants n’a pas voulu se plier (3). La population déplacée est donc notablement plus élevée que ce que les statistiques officielles laissent entendre. Comment le Japon a-t-il géré ses « réfugiés du nucléaire » ? Quelles sont les logiques nationales et internationales à l’œuvre derrière les politiques publiques en la matière ? C’est ce que nous allons tenter d’expliquer ici.

 

Une fillette japonaise originaire du village d’Okuma, proche de Fukushima Daiichi, prend des jouets pour son frère au cours d’une distribution de jouets, de vêtements et de produits d’hygiène organisée par l’armée américaine, fin mars 2011. Au lendemain de l’accident de la centrale, les 11 500 habitants d’Okuma, ainsi que les quelque 65 000 habitants des huit autres communes situées à moins de 20 km de la centrale, ont été évacués dans des gymnases et des abris de fortune, qui seront plus tard remplacés par des logements dits « provisoires ». (© Leo Salinas)

Une fillette japonaise originaire du village d’Okuma, proche de Fukushima Daiichi, prend des jouets pour son frère au cours d’une distribution de jouets, de vêtements et de produits d’hygiène organisée par l’armée américaine, fin mars 2011. Au lendemain de l’accident de la centrale, les 11 500 habitants d’Okuma, ainsi que les quelque 65 000 habitants des huit autres communes situées à moins de 20 km de la centrale, ont été évacués dans des gymnases et des abris de fortune, qui seront plus tard remplacés par des logements dits « provisoires ». (© Leo Salinas)

Les enjeux de la catastrophe

 

Il est essentiel, lorsque l’on évoque la gestion des flux migratoires par un gouvernement et afin de comprendre ses choix, d’en appréhender la politique tant intérieure qu’extérieure. Or, parmi les plus grands paradoxes qui ont suivi la catastrophe dont il est question ici, se trouve la multiplication des accords internationaux en matière de nucléaire entre la France et le Japon (Mitsubishi et Areva notamment) pour la construction de nouvelles centrales nucléaires et l’exploitation de nouveaux gisements d’uranium (4), plus particulièrement en Asie. On notera par ailleurs – mais c’est sans doute une coïncidence – la première participation en juin 2014 du groupe Mitsubishi à Eurosatory, considéré comme le plus grand salon mondial de l’armement terrestre (5). Quelques mois plus tôt, dans une phase préparatoire, s’était tenue en décembre 2012, à Fukushima, la Conférence ministérielle sur la sécurité nucléaire. Des représentants de pays du monde entier y ont promis le développement de centrales désormais sûres et sans danger. La décision politique de poursuivre et de développer l’énergie nucléaire était prise au niveau international, requérant dès lors un retour à la normale des plus prompts et à moindre coût au Japon. Afin de concrétiser cette démarche, les outils élaborés par l’ICRP (International Commission on Radiological Protection), basés sur « les notions de doses collectives* et sur les analyses coûts-bénéfices », sont utilisés comme fondement des calculs de profitabilité en situation de risque. Selon cette institution, la gestion du risque relève d’une équation attribuant une valeur économique à la vie humaine, le calcul du coût de sa protection permettant de déterminer la rentabilité ou non de la mise en place de cette protection (6). Mais, comme le déclarait Jacques Lochard, membre du comité de l’ICRP et directeur du CEPN (Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire)  lors d’un entretien que nous avons mené en novembre 2013, « Ethos ne va jamais sans Thanatos (7) ». Le tout est de savoir de quel côté l’on souhaite faire pencher la balance ! Attribuer une valeur monétaire à la vie humaine matérialise certainement l’aboutissement le plus extrême de la tendance à l’objectivation de l’être (devenu objet) dans nos sociétés.

 

De la gestion des flux migratoires par un État nucléariste dans un contexte de catastrophe nucléaire

 

Phase 1. Une politique de gestion des flux à rebours

 

On peut découper en trois phases la politique de contrôle des flux de population en fonction des directives énoncées dans les plans de priorité annuels du gouvernement japonais dans le contexte que nous venons de décrire. La première étape a été mise en œuvre dans l’année qui a suivi la catastrophe. Il fallait répondre à l’urgence, et cela a été fait notamment par la mise à disposition gratuite du parc de logements publics vacants sur l’ensemble du territoire afin d’y accueillir les victimes. Rapidement, le réconfort prend place à l’intérieur du département de Fukushima, par la construction de l’illusion de la protection. Certes, des mesures concrètes et visibles sont réalisées. Cependant, les logements provisoires sont bâtis en partie sur des zones contaminées (voir carte ci-dessus), les postes de mesure installés sont trafiqués et l’inefficacité de la décontamination est rapidement montrée du doigt (voir notamment les nombreux travaux de l’auteur sur ce sujet, et en particulier l’article paru dans Outre-terre signalé en bibliographie, NdlR).

 

Un poste de mesure de la radioactivité. Installés à plus d’un mètre du sol, voire sur des plaques de fer, avec des nettoyages fréquents aux alentours, ils produisent des chiffres inférieurs à la réalité dans le but de rassurer les habitants. (© Cécile Asanuma-Brice)

Un poste de mesure de la radioactivité. Installés à plus d’un mètre du sol, voire sur des plaques de fer, avec des nettoyages fréquents aux alentours, ils produisent des chiffres inférieurs à la réalité dans le but de rassurer les habitants. (© Cécile Asanuma-Brice)

 

La fin de l’année 2012 est marquée par le premier appel au retour avec l’arrêt de la gratuité des logements publics vacants sur l’ensemble du territoire, la décision du maintien de cette mesure revenant désormais aux collectivités locales. C’est là l’un des points fondamentaux qui caractérisent la gestion du désastre, à savoir le déplacement de la responsabilité. Déresponsabiliser les pouvoirs publics – plus particulièrement gouvernementaux – au profit d’une responsabilisation des collectivités locales est le premier degré de ce processus. Cela se traduit par un retard considérable dans les plans de reconstruction, les collectivités locales concernées n’ayant pas les moyens de les assumer. Ainsi, pour l’État japonais, ne pas reconstruire tout en appelant au retour en vantant une reconstruction fictive garantit un maintien des dépenses à un niveau bien moindre que ce qu’impliquerait une véritable politique de reconstruction. Mais surtout, les autorités s’efforcent de fixer les populations dans le département de Fukushima afin d’assurer leur suivi statistique et scientifique. Elles ne sont pas prêtes à prendre en charge la protection de ces populations qu’elles estiment condamnées. Pourquoi investir dans des logements publics pour un département déjà dépeuplé et amené à l’être encore plus ?

(…)

 

Lire l’intégralité de l’article en français : cliquer ici.

 

Cécile Asanuma-Brice a écrit un texte plus complet intitulé "Au-delà du réel – ou Quand le concept participe de la création d’un espace idéal illusoire : de la gestion des flux migratoires par un Etat nucléariste dans un contexte de catastrophe nucléaire" ; il comprend la totalité des notes et références.

- publié en anglais dans le magazine Japan Focus (novembre 2014)

- publié en japonais dans la revue critique de l'université de Kanagawa (n°79, décembre 2014)

Les traductions française, anglaise et japonaise de cet article plus complet sont disponibles sur le site du CSRP :  cliquer sur le lien ci-dessous.

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(1) Résidente permanente au Japon depuis 2001, auteur de nombreux articles sur la gestion de la catastrophe nucléaire de Fukushima, Cécile Asanuma-Brice a participé à (ou organisé) un grand nombre de conférences sur ce même thème en France comme au Japon.

 

(2) Cécile Asanuma-Brice, « Logement social nippon : quand la notion de public retrouve sa raison », Revue Urbanisme, nov.-déc. 2011, no 381.

 

(3) Cécile Asanuma-Brice et Thierry Ribault, Quelle protection humaine en situation de vulnérabilité totale ? Logement et migration intérieure dans le désastre de Fukushima, rapport dans le cadre du programme « Nucléaire, risque et société » de la Mission Interdisciplinarité du CNRS (2012).

 

(4) Entre autres sur le sujet : « Le Duo Mitsubishi-Areva va construire quatre réacteurs nucléaires en Turquie », Le Monde, 2 mai 2013 ; « Nucléaire : accord de partenariat entre Areva, Mon-Atom et Mitsubishi », Le Parisien, 26 octobre 2013.

 

(5) « Le Japon revient dans la course aux ventes d’armes », Le Monde, 16 juin 2014.

 

(6) Franco Romerio, Énergie, économie, environnement : le cas de l’électricité en Europe entre passé, présent et futur, Genève, Librairie Droz, 1994.

 

(7) Entretien réalisé par C. Asanuma-Brice et T. Ribault à Fukushima en nov. 2013. J. Lochard faisait ici référence au projet ETHOS établi par le CEPN à Tchernobyl en 1986 et à Fukushima en 2012, visant à donner les connaissances de radioprotection à la population vivant dans des territoires contaminés afin de permettre le glissement de responsabilité que nous évoquons ici, soit l’autogestion de sa protection.

 

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Photo d'entête : Au lendemain du séisme de magnitude 9 qui a dévasté le Nord-Est du Japon, du 9 au 11 mars 2011, des habitants de Minamisoma (préfecture de Fukushima) observent les débris charriés par le tsunami qui s’est ensuivi. Si la catastrophe naturelle a laissé au moins 387 000 sans-abris, hébergés dans des structures d’accueil, l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima Dai-ichi a, à lui seul, provoqué l’évacuation de 160 000 Japonais. (© AFP/ Toru Yamanaka)

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7 septembre 2014 7 07 /09 /septembre /2014 20:52

En 2011, Ian Goddard s’est penché sur l’explosion de l’unité 3 et, après avoir abandonné l’hypothèse d’Arnie Gundersen, a proposé une théorie basée sur une explosion de vapeur dans l’enceinte de confinement. Les autorités japonaises et l’opérateur Tepco ont toujours affirmé officiellement que cette explosion avait été provoquée par de l’hydrogène, mais cette position est uniquement due aux premiers communiqués du Cabinet du Premier ministre japonais et de la NISA, et non pas à la réalité constatée. En effet, quelques secondes après l’explosion, le directeur de la centrale s’est écrié : « QG, QG, c’est affreux ! L’unité 3 a explosé à présent ! Je pense que c’est probablement dû à la vapeur ». Mais on lui a bien fait comprendre ensuite qu’il ne faudrait plus qu’il en parle de cette manière et que l’on devait désormais uniquement expliquer les faits avec la version officielle.

J’ai choisi de diffuser la théorie de Ian Goddard car, 3 ans après les faits, elle reste la théorie la plus plausible et paradoxalement une des moins diffusées. Deux informations données par Tepco postérieurement à l’édition de l’article original en 2011 corroborent son scénario. Tout d’abord, en 2012, l’opérateur a lâché une information de taille : un bouchon de grandes dimensions qui ferme un conduit permettant d’apporter ou retirer des équipements lourds à la base de l’enceinte de confinement est sorti de son emplacement. Il est probable qu’une surpression interne ait pu réaliser cet exploit de déplacer cet équipement de plusieurs dizaines de tonnes qui reste évidemment fermé quand le réacteur est en fonctionnement. La deuxième information date de cette année : suite au nettoyage des ruines de l’unité 3, une partie de la dalle anti-missile, élément intégral du couvercle du puits de cuve du réacteur, a été retrouvée affaissée de 30 cm en son centre par rapport aux autres éléments, ce qui peut s’expliquer par son soulèvement et sa chute, aucun objet lourd n’étant tombé directement dessus. Là encore, cet équipement en béton armé d’environ 40 tonnes n’a pas pu bouger sans qu’une très forte pression n’apparaisse subitement.

Toutefois, la complexité de cette succession d’explosions de l’unité 3 est telle qu’il est possible que d’autres facteurs soient responsables de tel ou tel évènement physique non pris en compte dans ce scénario énoncé précocement. C’est pourquoi il doit être considéré comme une bonne piste de recherche et doit laisser la porte ouverte à d’autres scénarios ou variantes. Quoi qu'il en soit, cette hypothèse d’explosion de vapeur, toujours tue par les autorités scientifiques de la planète nucléaire, a le mérite d’exister et Ian Goddard doit ici être remercié pour la clarté de sa démonstration qui contraste avec le mutisme des organismes scientifiques censés nous expliquer ce qui est arrivé.

Pierre Fetet

 

 

__________________

 

 

 

Unité 3 de Fukushima : la théorie de l’explosion de vapeur

 

Ian Goddard

 

 

 

Titre original : Fukushima Unit 3 - steam-explosion theory

Source : http://iangoddard.com/fukushima01.html

Traduction française : Pierre Fetet (relecture Phil Ansois)

 

 

 

 

L’événement marquant des fusions de cœur de Fukushima a été la grande explosion de l'unité 3, le 14 mars, avec son nuage en forme de champignon, en total contraste avec l'explosion de l'unité 1 qui n'avait provoqué aucune projection verticale remarquable. Pourtant, Tokyo Electric Power Company suppose que chacune de ces explosions est due à de l’hydrogène qui s’est retrouvé confiné au niveau supérieur au-dessus du réacteur. Toutefois, parce que des effets radicalement différents suggèrent des causes différentes, considérons un modèle fondé sur des données probantes dans lequel l’explosion de l'unité 3 était une explosion de vapeur qui a vaporisé des tonnes d'eau de mer injectées en un nuage en forme de champignon et qui a déclenché des explosions secondaires d'hydrogène.
 

Figure 1: L’explosion de l’unité 1, contrairement à celle de l’unité 3, n’a pas eu d’amplitude verticale et n'a pas formé de nuage en forme de champignon. Il semble donc que quelque chose en plus soit arrivé à l'unité 3. Le nuage en forme de champignon est composé d’une masse compatible avec des tonnes d'eau vaporisée.

Figure 1: L’explosion de l’unité 1, contrairement à celle de l’unité 3, n’a pas eu d’amplitude verticale et n'a pas formé de nuage en forme de champignon. Il semble donc que quelque chose en plus soit arrivé à l'unité 3. Le nuage en forme de champignon est composé d’une masse compatible avec des tonnes d'eau vaporisée.


Le risque d'une explosion de vapeur au cours d’une fusion de cœur dans une enceinte de confinement abritant un réacteur a été un sujet de préoccupation et de recherche considérable, comme indiqué dans Moriyama et al .:

« L'explosion de vapeur provoquée par le contact d’un cœur fondu et d’un liquide de refroidissement [l'eau] est reconnue comme l'une des menaces potentielles pour l'intégrité d’une enceinte de confinement lors d'un accident grave de réacteurs à eau légère et l'une des plus importantes sources d'incertitude dans l'évaluation des fréquences des premiers rejets importants de produits de fission. » [1]

Puisque de l'eau de mer a été injectée dans le réacteur de l’unité 3 dans le but de le refroidir lors de sa fusion, les ingrédients nécessaires pour une explosion de vapeur dans l'enceinte de confinement étaient réunis avant l'explosion. Donc, étant donné que l'explosion de vapeur est un risque reconnu dans de telles circonstances, la possibilité d'une explosion de vapeur nécessite une enquête que nous allons entreprendre sans délai.


Panaches de vapeur distincts provenant de l'enceinte de confinement

 
Dès que les nuages ​​de l'explosion se sont dissipés, deux panaches de vapeur distincts ont été vus sortant du niveau supérieur démoli de l'unité 3.

La figure 2 (a) montre l'unité 3 trois minutes après son explosion, et là nous voyons deux panaches de vapeur distincts. Ces deux panaches ont été observées tout au long du début du printemps, quand l'unité 3 produisait de la vapeur, comme le montre la figure 2 (b, c, d).
 

Figure 2 (a-d): des panaches de vapeur distincts vus tout au long du début du printemps après l’explosion s’élèvent en nuage de l'unité 3. (e) La tendance à un panache de vapeur persistant suggère une vapeur provenant de l'enceinte de confinement.

Figure 2 (a-d): des panaches de vapeur distincts vus tout au long du début du printemps après l’explosion s’élèvent en nuage de l'unité 3. (e) La tendance à un panache de vapeur persistant suggère une vapeur provenant de l'enceinte de confinement.


La figure 2 (e) situe les panaches de vapeur sur le plan de l'unité 3. Sans surprise, le volume important des nuages de vapeur qui s'échappaient est en corrélation avec un grand réservoir d'eau bouillante [2]. La seule autre masse d'eau sur le site est la piscine de combustible usé sur le côté sud de l'unité 3 (voir la piscine de combustible usé dans les figures 2 (e) et 3). Cependant, les panaches de vapeur émanent de points autour du centre de l'unité 3, et s’échappent dans de gaies volutes tout comme de la vapeur s’échappant de trous dans un récipient d'eau bouillante. De toute évidence, ces panaches de vapeur distincts ne viennent pas de la piscine de combustible.


Les points chauds du couvercle du puits de cuve correspondent aux panaches de vapeur


La figure 3 localise les points chauds sur les photos infrarouges associées au plan de l’étage de service de l'unité 3. On constate que les points chauds clés s'alignent avec le bord du couvercle du puits de la cuve du réacteur. Ces points chauds correspondent à leur tour aux panaches de vapeur de la figure 2 et aux forces explosives que nous verrons dans la figure 4.
 

Figure 3 : Animation : les points chauds correspondent au couvercle, à la vapeur et aux souffles explosifs dans la figure 4. Notez que la piscine de combustible à gauche est décentrée ; c’est également chaud au niveau du stockage de combustible usé.

Figure 3 : Animation : les points chauds correspondent au couvercle, à la vapeur et aux souffles explosifs dans la figure 4. Notez que la piscine de combustible à gauche est décentrée ; c’est également chaud au niveau du stockage de combustible usé.


Les panaches de l’explosion correspondent aux panaches de vapeur


La figure 4 montre les séquences vidéo initiales de l'explosion de l’unité 3. Notez qu'il y a des panaches explosifs distincts, le plus évident étant le panache de feu qui a la forme d’un poing qui frappe et passe à travers le haut de la paroi sud ensoleillée. Notez aussi que les panaches explosifs initiaux ne se propagent pas vers le haut comme le nuage en forme de champignon qui les a suivis, mais qu’ils ont plutôt des effets de souffle sur les côtés suivant un angle d’environ 45˚. Les angles des vecteurs [d’éjection ; cf. Fig. 3] convergent bien sur ​​le bord du couvercle du réacteur, là d’où proviennent aussi les panaches de vapeur. Par conséquent, dans ce modèle d’explosion de vapeur, ces panaches explosifs sont une phase ignée des panaches de vapeur qui s’est produite immédiatement après, comme le montre la figure 2. Cette phase enflammée des panaches provenant de l’enceinte de confinement reflète l'éjection explosive de gaz inflammables comme l'hydrogène à partir de la zone supérieure de l'enceinte de confinement.
 

Figure 4 : Animation : modélisation de la phase initiale de l'explosion sur la base des données des figures 2 et 3. L'eau, dans notre modèle, est assombrie par sa contamination avec du combustible fondu et des dégagements gazeux.

Figure 4 : Animation : modélisation de la phase initiale de l'explosion sur la base des données des figures 2 et 3. L'eau, dans notre modèle, est assombrie par sa contamination avec du combustible fondu et des dégagements gazeux.


La figure 5 montre le mécanisme de déclenchement d’une explosion de vapeur hors cuve, comme cela est décrit dans Moriyama et al., où l'eau s’est accumulée au fond de l'enceinte de confinement en dessous du réacteur. Ensuite, le combustible fondu, en traversant le fond de la cuve fondue du réacteur, provoque une explosion de vapeur au moment où il tombe dans l’eau en dessous du réacteur. [1] Ainsi, dans notre modèle pour Fukushima, l'eau de mer injectée dans le réacteur de l'unité 3 s’écoule hors du réacteur et s’accumule dans l’enceinte de confinement. La chute du combustible en fusion déclenche alors une explosion de vapeur qui elle-même déclenche les explosions secondaires d'hydrogène. [1,3]
 

Figure 5 : Animation: l’explosion de vapeur hors-cuve déclenchée par le combustible fondu tombant dans l'eau.

Figure 5 : Animation: l’explosion de vapeur hors-cuve déclenchée par le combustible fondu tombant dans l'eau.


Dans la figure 6, toutes nos observations sont réunies pour former un modèle compatible et cohérent d’explosion de vapeur hors-cuve qui concorde parfaitement avec l'explosion de l'unité 3. Ici, nous faisons fonctionner ce modèle plus loin que l’animation de la figure 4, jusqu’au point de « l'épanouissement du champignon », qui arrive juste après comme prévu, une grosse boule de vapeur de carburant usé roulant vers le haut dans le ciel. Nous supposons que la force de l'explosion dans l'enceinte a momentanément soulevé le couvercle du puits de cuve, permettant à une partie importante de l'eau de mer de s’échapper, avant qu’il ne retombe et se referme. Mais les dégâts de l'explosion sur les joints du couvercle ont permis à la vapeur de se propager pendant des semaines comme on le voit dans la figure 2.

 

Figure 6 : Animation : modélisation de l’explosion de vapeur hors-cuve appliquée à l'explosion de l'unité 3.

Figure 6 : Animation : modélisation de l’explosion de vapeur hors-cuve appliquée à l'explosion de l'unité 3.

 

Indices donnés par les instruments de mesure

Les données enregistrées indiquent que l'explosion de l’unité 3 a été associée à un taux significatif de variation de pression (une chute de pression) dans l’enceinte de confinement (appelée aussi drywell, ou D/W) comme si cela correspondait à un rejet explosif soudain provenant de celle-ci. [4]

 

Figure 7 : l'explosion a coïncidé avec une baisse soudaine de la pression de confinement. Le graphique montre le taux de variation de pression et son évolution ; la pression n’est pas revenue à la normale après l'explosion (voir [4] pour plus de détails).

Figure 7 : l'explosion a coïncidé avec une baisse soudaine de la pression de confinement. Le graphique montre le taux de variation de pression et son évolution ; la pression n’est pas revenue à la normale après l'explosion (voir [4] pour plus de détails).


La théorie de TEPCO selon laquelle l'explosion de l’unité 3 est uniquement due à une explosion d'hydrogène dans l'espace du niveau supérieur au-dessus du confinement est contredite par la perte simultanée et soudaine de la pression de l'enceinte de confinement, qui indique clairement son implication dans l'explosion.
Cela montre aussi que l'eau de mer injectée dans le réacteur fuyait, ce qui de ce fait inondait l'enceinte de confinement comme le montre la figure 5. Vingt heures avant que l'unité 3 n’explose, TEPCO a également indiqué dans un communiqué de presse (soulignement ajouté):

En tenant compte du fait que le niveau d'eau dans la cuve sous pression n'a pas augmenté depuis longtemps et que la dose de rayonnement augmente, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que la même situation se soit produite à l'unité 1 le 12 mars. [5]

Que le niveau de l’eau n'ait pas augmenté pendant une longue période est conforme à un écoulement de l'eau hors du réacteur. Et qu'il ait finalement augmenté est cohérent avec le fait que le niveau dans l'enceinte de confinement était finalement suffisamment élevé pour permettre au niveau d’augmenter aussi dans le réacteur. Cependant, gardez à l'esprit que ce sont des conclusions à partir d'une déclaration au sujet d'une situation complexe et que même ceux qui étaient sur le site à ce moment ne pouvaient pas être certains de la signification des données des niveaux d'eau.


Discussion


Étant donné que l'explosion de vapeur hors cuve au cours d'une crise est reconnue par l'industrie nucléaire et les scientifiques comme un risque grave, il est surprenant que la seule mention de celle-ci en rapport aux fusions de cœurs de Fukushima trouvée via Google (au 03/09/11) se trouve dans un rapport de Greenpeace Allemagne [6]. Ce qui est aussi surprenant, c'est qu'il n'y a pas eu à ce jour d'explication ou même de reconnaissance des différences considérables entre les explosions de Fukushima provenant de l'industrie, du gouvernement ou de sources universitaires. Et pourtant, comprendre exactement comment les centrales nucléaires ont explosé pourrait évidemment aider à protéger le public contre les catastrophes nucléaires du futur.


Dans le rapport du gouvernement japonais, l’explosion de l’unité 3 est expliquée de cette manière : " Une explosion, qui était probablement une explosion d'hydrogène, a eu lieu à la partie supérieure du bâtiment réacteur à 11h01 le 14 mars " [7]. C'est tout ! Pour une explication universellement acceptée, sans question à faire valoir en passant simplement comme probable, c'est surprenant. En outre, elle est probable par rapport à quoi ? Si je dis « La pluie est probable », nous savons que ça signifie que c’est probable par rapport au fait qu’il ne pleut pas, et nous savons ce que ne pas pleuvoir veut dire. Pourtant, il n'est pas fait mention de toute autre cause possible relative au fait que cette probabilité est favorisée. Le terme explosion de vapeur ne figure même pas dans le rapport. Il semble donc que soit il n’y a que Greenpeace à être familier avec la littérature nucléaire, soit le gouvernement et TEPCO ont choisi de garder le silence sur d'autres causes possibles.

Considérant que la fuite de liquide de refroidissement dans l'enceinte de confinement est une condition préalable pour une explosion de vapeur hors-cuve tant redoutée, il est curieux que TEPCO ait déclaré dans presque chaque communiqué de presse précédent l’explosion de l'unité 3 : « Actuellement, nous ne croyons pas qu'il y ait une fuite de liquide de refroidissement du réacteur vers l’enceinte de confinement du réacteur. » [8] En commençant par dire « nous ne croyons pas », c'est avant tout une déclaration au sujet de la croyance qui revient à dire : nous ne savons rien de toute fuite. Un tel déni de savoir qu'une condition préalable essentielle à une explosion de vapeur hors-cuve puisse exister a des relents de manœuvres précontentieuses destinées à réduire la responsabilité éventuelle de TEPCO.

En conclusion, les éléments de preuve dans le présent rapport ramènent constamment à une explosion dans l'enceinte de confinement et donc plus probablement à une explosion de vapeur hors cuve dans cette grande enceinte d'eau bouillante [2]. Ce type d'explosion de vapeur est le type le plus probable parce que la recherche indique qu’il est très peu probable qu’une explosion à l’intérieur de la cuve (c’est-à-dire une défaillance du confinement en mode alpha) survenant à l'intérieur du réacteur lui-même puisse provoquer une brèche dans l'enceinte de confinement, et il y aurait donc peu de chances qu’elle produise l'explosion dramatique de l'unité 3 [1].

 


Conclusion

La preuve empirique multimodale examinée ci-dessus démontre que tous ces éléments, à savoir (a) les panaches de vapeur d'eau, (b) les points chauds, (c) les forces explosives et (d) un nuage de vapeur en forme de champignon,  correspondent à des vecteurs [d’éjection ; cf. Fig. 3] dont les origines convergent autour du couvercle d'un grand réservoir d’eau bouillante connu sous le nom d’enceinte de confinement. En outre, les données enregistrées montrent que la pression dans l'enceinte de confinement a soudainement chuté au moment de l'explosion (conformément à une explosion provenant de l'enceinte de confinement) et que le jour avant l'explosion, les niveaux d'eau n'ont pas augmenté dans le réacteur pendant une longue période en dépit de l’eau injectée (compatible avec l'eau qui s'écoule du réacteur et son accumulation dans l’enceinte de confinement). Enfin, compte tenu de la présence de flammes dans deux des panaches explosifs (figures 4 et 6), l'explosion dans l'enceinte a probablement déclenché les explosions secondaires d'hydrogène, car ce  gaz se serait accumulé à la fois dans l'espace de l’enceinte de confinement et dans l'espace du niveau supérieur au-dessus de l'enceinte de confinement.

 


_______________

[1] Moriyama, K., et al. (2006). Evaluation of Containment Failure Probability by Ex-Vessel Steam Explosion in Japanese LWR Plants, Journal of Nuclear Science and Technology, 43(7), p.774-784.


[2] Nous n’avons pas besoin d’émettre l'hypothèse que le réservoir d'eau était en train de bouillir parce que son ébullition est un fait accepté par tout observateur bien informé. En effet, (1) l'eau autour du combustible nucléaire fondu ou en train de fondre est nécessairement en ébullition et doit être renouvelée en permanence pour étancher le rythme rapide de l'ébullition, et (2) les panaches de vapeur vus dans la figure 2 montrent clairement que l'eau fuyant de l’intérieur de l’enceinte de confinement de l’unité 3 bouillait. Reconnaissant que l'enceinte de confinement était un grand réservoir d'eau bouillante, comme une grande cocotte-minute avant que ses joints ne cèdent, la théorie selon laquelle il a subi une explosion de vapeur doit être considérée comme la théorie par défaut.

[3] JAEA. (2006). Nuclear Safety Research, Evaluating the Risk of Steam Explosions, JAEA R&D Review, p. 83.


[4] Variation du taux de pression du D/W de l’unité 3 (MPa/h) dans la période 0-96 heures après le séisme.

Voir aussi: la pression de la cuve du réacteur (RPV) et de l’enceinte de confinement primaire (PCV, et toute autre dénomination : enceinte de confinement, drywell ou D/W) au moment de l'explosion.

Données brutes de Tepco pour l'unité 3, certaines d'entre elles utilisées ici.

[5] TEPCO Communiqué de presse de Tepco du 13 Mars 2011 : Impact to TEPCO's Facilities due to Miyagiken-Oki Earthquake (as of 3:00PM).

[6] Large, J.H. (2011). Brief opinion on the TEPCO plan to flood the primary containment of Unit 1 Fukushima Dai-ichi, Greenpeace Germany.

[7] Prime Minister of Japan and His Cabinet. (2011). Report of Japanese Government to the IAEA Ministerial Conference on Nuclear Safety - The Accident at TEPCO's Fukushima Nuclear Power Stations, Chapter 4.


[8] Communiqué de presse de Tepco du 12 mars 2011 : Plant Status of Fukushima Daiichi Nuclear Power Station (as of 11PM March 12th).

 

 

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14 août 2014 4 14 /08 /août /2014 13:02
Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima

Le site d’Akio Matsumura présente un résumé des travaux récents du biologiste Tim Mousseau, qui depuis une quinzaine d’années poursuit des recherches sur les effets des radiations sur la vie sauvage et l’environnement, suite aux catastrophes de Tchernobyl puis de Fukushima.

Tim Mousseau expose ici les points principaux des recherches de son équipe et présente les objectifs du Programme Tchernobyl + Fukushima.

Odile Girard

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Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima 

 

Timothy Mousseau

 

Article paru sous le titre original « Abnormalities, Deformities, and Resilience: New Research on Radiation and Wildlife in Chernobyl and Fukushima » le 10 juillet 2014 sur le site Finding the missing link.

 

Traduction française : Odile Girard (Fukushima-is-still-news)

 

 

Le programme et ses activités de recherche

 

Le siège du programme de recherche  Tchernobyl + Fukushima (CFRI) se trouve à l’Université de Caroline du Sud, à Columbia. Les recherches ont commencé officiellement en Ukraine en 2000, et à Fukushima en juillet 2011. À ce jour, le groupe a mené plus de 30 expéditions de recherche à Tchernobyl et 10 expéditions à Fukushima.

 

À Tchernobyl comme à Fukushima, les accidents nucléaires ont émis d’énormes quantités d’éléments radioactifs qui ont été dispersés par les conditions météo dominantes à l’échelle du paysage. Quelque 200 000  km2  (Tchernobyl) et 15 000 km2 (Fukushima) ont été lourdement contaminés. Les matériaux radioactifs ne se sont pas dispersés de manière uniforme et ont créé une mosaïque de micro-habitats « chauds » et « froids » disséminés sur toute la région. Ce patchwork radioactif nous a donné une opportunité unique d’observer les effets génétiques, écologiques et les effets liés à l’évolution avec beaucoup de détail et de répétition et donc une grande rigueur scientifique, qui ne serait pas possible en laboratoire ou avec des études de terrain traditionnelles, souvent soumises aux contraintes d’une gamme limitée et plutôt peu naturelle d’hétérogénéité environnementale. Ceci est un aspect important car on peut présumer que les interactions entre les facteurs environnementaux naturels et les contaminants radioactifs jouent probablement un rôle déterminant dans les conséquences biologiques des catastrophes en question. Il est donc indispensable que les études sur les effets des radiations soient menées dans la nature, à l’échelle des régions. Les études portant sur les seules populations humaines présentent de nombreuses contraintes qui limitent leur utilité quand il s’agit d’essayer de comprendre les conséquences à long terme des radiations.

 

Le CFRI de l’Université de Caroline du Sud a été le premier, et reste à ce jour le seul groupe de recherche à utiliser une démarche multidisciplinaire pour appréhender les conséquences sur la santé et l’environnement des effets des radiations sur les populations sauvages. Cela nous a permis d’étudier les expositions aiguës (à court terme) aussi bien que chroniques (à long terme et sur plusieurs générations).

 

Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima possède également aujourd’hui la seule équipe à travailler à la fois à Tchernobyl et à Fukushima.

 

Nos sources essentielles de financement sont le Samuel Freeman Charitable Trust, le CNRS (France), la National Science Foundation et la National Geographic Society. Des financements supplémentaires nous ont été accordés par l’OTAN, la Fondation pour la recherche civile et le développement (CRDF), l’Institut national de la Santé (NIH), Qiagen GmbH, la Fondation Fulbright, le Bureau de la recherche et la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Caroline du Sud, l’Académie de Finlande et nous avons reçu aussi des donations de particuliers.

 

Aujourd’hui le programme a déjà à son actif plus de 60 publications scientifiques dont la plupart datent des sept dernières années (ces papiers sont disponibles sur notre site Internet http://cricket.biol.sc.edu). Nos recherches ont fait parler d’elles dans de nombreux journaux et programmes de télévision, notamment le New York Times, The Economist, Harpers, la BBC, CNN, et la News Hour de PBS (voir le site Internet pour plus de détails).

 

L’équipe a été l’une des premières à utiliser des technologies écologiques, génétiques et dosimétriques pour éclaircir la question des conséquences sanitaires et environnementales de l’exposition à faibles doses chronique après les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima. Ces technologies incluent notamment des recensements écologiques maintes fois répétés des populations naturelles d’oiseaux, de mammifères et d’insectes pour observer les effets sur la longévité et la reproduction ; le séquençage ADN et les tests de génotoxicité pour évaluer les dommages génétiques à court et à long terme sur les individus vivant dans la nature ; l’usage de dosimètres miniatures attachés à des animaux sauvages et les mesures de terrain de l’irradiation du corps entier chez les oiseaux et les mammifères pour obtenir une évaluation précise des doses de radiation externe et interne reçues par les animaux vivant librement dans la nature. Récemment, le groupe a élargi ses recherches aux études épidémiologiques et génétiques des populations humaines (en particulier les enfants) vivant dans les régions d’Ukraine affectées par Tchernobyl.

 

Parmi les résultats clés publiés en 2013-2014, on compte la découverte de tumeurs, de cataractes et de sperme endommagé chez les oiseaux issus des zones hautement irradiées de Tchernobyl, et des conséquences sur la biodiversité à Fukushima. Un des résultats extrêmement intéressant est la découverte que certaines espèces d’oiseaux ont peut-être développé une forme de résistance aux effets des radiations en changeant l’allocation des antioxydants, bien que beaucoup d’oiseaux soient stériles dans les zones hautement contaminées. Nous avons aussi découvert récemment des effets sur le développement neurologique de certains petits mammifères à Tchernobyl ainsi qu’à Fukushima.

 

Les deux catastrophes diffèrent par le temps écoulé depuis qu’elles sont survenues et par la quantité et la diversité des radionucléides émis, même si la source prédominante de radiation est le césium 137 dans les deux cas.

Bruant à gorge jaune près de Tchernobyl

Bruant à gorge jaune près de Tchernobyl

Les points essentiels révélés par la recherche

 

Voici les points essentiels des recherches publiées par le programme de recherche de Tchernobyl + Fukushima :

 

• La taille des populations et le nombre d’espèces (c’est-à-dire la biodiversité) d’oiseaux, mammifères, insectes et araignées sont nettement inférieures dans les zones hautement contaminées de Tchernobyl.

• Chez de nombreux oiseaux et petits mammifères, la durée de vie et la fertilité sont réduites dans les zones de forte contamination.

• À Fukushima, seuls les oiseaux, les papillons et les cigales ont connu un déclin significatif durant le premier été suivant l’accident. Les autres groupes n’avaient pas souffert d’effets négatifs. Les efforts continuent pour repérer les changements qui pourraient affecter ces populations au fil du temps.

• On observe une grande variabilité chez les différentes espèces quant à leur sensibilité aux radionucléides. Quelques espèces ne sont pas affectées et certaines semblent même augmenter en nombre dans les zones fortement contaminées à Tchernobyl comme à Fukushima. Ceci est dû, on peut le présumer, à la disparition de la concurrence (donc davantage de nourriture et d’habitat disponible), à la réduction du nombre des prédateurs et peut-être à une adaptation aux effets des radiations.

• Beaucoup d’espèces montrent des signes de dommages génétiques suite à une exposition aiguë ; les différences observées entre Tchernobyl et Fukushima suggèrent que certaines espèces pourraient montrer les conséquences d’une accumulation de mutations sur plusieurs générations.

• Certains individus et espèces ne montrent aucune évidence de dommage génétique lié à l’exposition aux radiations et certains montrent même des signes d’adaptation évolutive aux effets des radiations grâce à une augmentation de l’activité antioxydante qui peut offrir une protection contre les radiations ionisantes.

• Les espèces d’oiseaux les plus susceptibles de connaître une réduction de leur nombre à cause des radiations sont celles qui historiquement ont vu une augmentation de leur taux de mutation pour d’autres raisons, liées peut-être à la capacité de réparation de leur ADN ou au déclin de leurs défenses contre le stress oxydant.

• Les effets délétères de l’exposition aux radiations observés chez les populations naturelles de Tchernobyl comprennent une augmentation des taux de cataractes, de tumeurs, d'anomalies de croissance, des déformations des spermatozoïdes, des cas de stérilité et d’albinisme.

• Le développement neurologique est lui aussi affecté comme le prouve une réduction de la taille du cerveau chez les oiseaux et les rongeurs ; des répercussions sur les capacités cognitives et les taux de survie ont également été démontrées chez les oiseaux.

• À Fukushima, les premiers signes d’anomalies du développement ont été observés chez les oiseaux en 2013, mais on n’a pas encore mis en évidence de dommages génétiques importants chez les oiseaux et les rongeurs.

• La croissance des arbres et la décomposition microbienne dans le sol sont également ralenties dans les zones fortement contaminées par les radiations.

 

En résumé, ces résultats démontrent clairement que ces catastrophes nucléaires ont eu des conséquences à l’échelle de l’environnement  sur les individus, les populations et les écosystèmes ; nombreux sont les exemples d’anomalies du développement et de difformités qui contribuent probablement à la réduction de l’abondance et de la biodiversité observée dans les régions radioactives de Tchernobyl et de Fukushima. Ces résultats s’opposent nettement à l’optimisme des affirmations sans preuves avancées par le Forum de Tchernobyl (ONU) et les membres du Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations (UNSCEAR). Les études devront être poursuivies pour déterminer non seulement le temps d’adaptation des populations et des communautés à cette perturbation, mais aussi si ces régions seront un jour à nouveau habitables et si oui, à partir de quand.

 

Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima

Les objectifs pour 2014-15

 

Nous sommes actuellement à la recherche de financements pour soutenir les activités de recherche, en cours et prévues, du programme Tchernobyl + Fukushima :

1) Suivi constant des populations d’oiseaux, de petits mammifères et d’insectes à Fukushima pour tester les changements dans la taille des populations (abondance) et le nombre des espèces (biodiversité) au fil du temps. Cette étude devrait permettre d’établir des prévisions à long terme quant au temps nécessaire au rétablissement de la situation.

2) Suivi constant des populations d’hirondelles rustiques et de rongeurs (souris et campagnols) pour les cancers, les taux de survie, la reproduction et les dommages génétiques, à Fukushima et à Tchernobyl (en collaboration avec l’Institut français du CNRS et l’Université Rikkyo de Tokyo, la Société des oiseaux sauvages du Japon, l’Institut national des forêts du Japon et l’Université finlandaise de Jyvaskyla).

3) Mise en route d’un nouveau projet pour étudier les effets des radiations sur la croissance des arbres et l’activité microbienne du sol à Fukushima (en collaboration avec l’Université de Chubu, à Nagoya au Japon).

4) Mise en route d’un nouveau projet destiné à établir les effets des radiations sur la croissance, la fertilité et les dommages génétiques chez les vaches vivant dans les zones hautement radioactives à Fukushima (avec la collaboration de l’Association des éleveurs bovins de Fukushima)

5)Mise en route d’un nouveau projet pour examiner les taux de mutation chez les humains en utilisant le séquençage complet de l'ADN du génome. Ce projet se concentrera initialement sur les familles vivant dans les régions contaminées d’Ukraine. Ce projet est une collaboration avec l’Institut neurologique de Montréal et l’hôpital de l’Université McGill, le Centre pour la recherche radiologique à l’Université de Columbia et l’Institut de médecine radiologique de Kiev en Ukraine.

6) Poursuite du développement de nouvelles méthodes de mesure des doses et des dommages génétiques dans les populations animales sauvages.

7) Coordination d’une association internationale de scientifiques indépendants capable de fournir des informations non-biaisées fondées sur des preuves concernant les risques sanitaires et environnementaux liés aux accidents nucléaires. Ce groupe aura pour tâche de compiler, évaluer et interpréter la littérature médicale et scientifique actuelle et de développer une littérature adaptée à la diffusion publique par la presse et les médias Internet, et utilisable dans des présentations publiques au Japon et dans le reste du monde.

 

Pour plus de renseignements, veuillez contacter :

 

Dr. Timothy A. Mousseau
Professor of Biological Sciences
University of South Carolina
Columbia, SC 29208 USA
(803) 920-7704
Mousseau@sc.edu

 

 

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En savoir plus :

 

Kna a mis en ligne la conférence que Tim Mousseau a donnée lors du Symposium de New-York organisé en mars 2013 (version sous-titrée en français)

 

 

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Photo d'entête : Pissenlits mutants à Fukushima (Photo de Timothy Mousseau)

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6 juillet 2014 7 06 /07 /juillet /2014 18:00

Mari Takenouchi vient de mettre en ligne une pétition internationale demandant l’évacuation des femmes enceintes et des enfants de Fukushima. Dans ce texte, la journaliste freelance rappelle les mensonges du gouvernement et les pressions qu’elle a elle-même subies depuis qu’elle dénonce les dangers de la vie en secteur contaminé. Elle réclame notre soutien.

Mari Takenouchi est une journaliste freelance japonaise. Depuis le début de la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle couvre inlassablement les événements et cherche à alerter sur la situation des populations. Elle publie énormément sur Internet, notamment sur les blogs qu’elle a créés : Save Kids Japan, Mari Takenouchi's open questions, Shady People in Pro/Anti Nuke Societies, Ugly Japanese ou encore Mari Takenouchi’s Essay. Elle met aussi en ligne de nombreuses vidéos sur sa chaîne Youtube et diffuse des informations via ses comptes Twitter et Facebook. Une grande partie de son travail consiste à traduire des livres sur la radioactivité en japonais, mais aussi des témoignages de Japonais ainsi que ses propres articles en anglais, pour permettre une meilleure diffusion des informations à l’étranger et tenter d'alerter l’opinion internationale. Elle lutte inlassablement pour rompre le silence et protéger les enfants du Japon.

Protéger les enfants par l’information

 

Mère de famille et journaliste, Mari Takenouchi se consacre bénévolement à diffuser l’information concernant les risques liés à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Elle se dit ouvertement anti-nucléaire. Son engagement devient un véritable combat lorsque le gouvernement japonais décide de relever la limite d’exposition à la radioactivité de 1 à 20 milliSievert par an. Cette décision, qui a pour conséquence directe de nier les conséquences sanitaires dues à l’accident nucléaire et de refuser toute évacuation de la population de certaines zones fortement contaminées, expose de fait d’innombrables adultes, mais surtout d’innombrables enfants et fœtus à des doses 20 fois supérieures à ce qui est autorisé dans le reste du monde. A ce moment précis, les enfants japonais sont condamnés à vivre dans des conditions équivalentes aux conditions de travail des employés du secteur nucléaire...

Pendant un temps, on laisse même planer le doute sur l’éventualité de relever la limite légale à 100 milliSievert par an… Nous sommes en avril 2011. Le Dr Shunichi Yamashita, président de l’association Japonaise de la Thyroïde, vient tout juste d’être nommé président de l’Université de Médecine de Fukushima et conseiller pour la gestion du risque sanitaire lié à la radioactivité dans la préfecture de Fukushima. Il n’hésite pas à se moquer ouvertement des parents qui s’inquiètent pour la santé de leurs enfants, à affirmer avec le plus grand sérieux que les gens qui sourient ne sont pas atteints par la radioactivité et qu’une dose de 100 microSievert par heure n’est pas dangereuse (ce qui correspond à 876 milliSievert par an)…

Quelques-unes des plus incroyables affirmations du Dr Shunichi Yamashita...

Mari Takenouchi comprend très vite que le gouvernement est en train de mettre en place une véritable stratégie de désinformation, qui ne fait qu’amplifier les conséquences de la catastrophe. Désormais, pour permettre aux résidents de se protéger, il va falloir se battre pour l’information. Ce constat est partagé par de nombreux autres activistes, et plus généralement par d’autres citoyens, qui vont spontanément s’organiser pour faire circuler l’information, organiser des manifestations, mettre en place des laboratoires indépendants, des centres d’analyse de la nourriture…

Et protéger les lanceurs d’alerte

 

Mari Takenouchi lors d'une conférence organisée par la Helen Caldicott Foundation.

Comme de nombreux journalistes indépendants, Mari Takenouchi a rapidement subi de multiples pressions. Reporters Sans Frontières dénonce d’ailleurs régulièrement ce fait, démontrant que nombres de ces intimidations sont le fait même du gouvernement. Un documentaire baptisé « Fukushima Censored » est d’ailleurs en cours de préparation. La tentative d’intimidation atteint son paroxysme en janvier 2014, quand Mari Takenouchi est poursuivie en justice pour un tweet qualifiant le projet Ethos « d’expérience sur des êtres humains ». Ce projet, financé par de grands groupes de l’industrie nucléaire française (EDF, CEA et Areva) et déjà mis en place à Tchernobyl, vise à apprendre aux populations à vivre en zone contaminée, en dépit de toute considération de sécurité sanitaire. La plainte n’a finalement pas abouti, mais elle a fait éclater au grand jour les pressions exercées à l’encontre de tous ceux qui osent s’inquiéter de la santé des populations exposées. Avant Mari Takenouchi, un autre journaliste indépendant, Minoru Tanaka, avait subi un acharnement judiciaire particulièrement violent pour son travail d’enquête sur la gestion de l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.

On comprend mieux pourquoi la pétition lancée par Mari Takenouchi associe la nécessité de protéger les plus fragiles (en demandant l’évacuation des femmes enceintes et des enfants) et la défense de ce que nous appellerions les « lanceurs d’alerte ». Je vous invite à la signer, même si nous savons tous que ces pétitions sur Internet ne changent rien au final. Mais il y a derrière ce texte une femme, mère et journaliste, qui se bat depuis plus de trois ans, et qui a besoin de notre soutien. Ne lui laissons pas croire une seule seconde que nous acceptons cette situation ou que nous sommes indifférents à cette injustice…

 

Ci-dessous la traduction de la pétition de Mari Takenouchi, réalisée par Lauriane Millet (et pour la signature, ça se passe là : http://www.change.org/fr/pétitions/to-government-of-japan-and-citizens-of-the-world-please-evacuate-fukushima-kids-and-pregnant-women?lang=fr) :

 

 

S’il-vous-plaît aidez nous à faire évacuer les femmes enceintes et les enfants de Fukushima

 

Mon nom est Mari Takenouchi, traductrice spécialisée sur le nucléaire, journaliste freelance et mère célibataire d’un petit garçon de 4 ans.

 

Après l’accident de Fukushima, j’ai plaidé en faveur de l’évacuation des enfants et des femmes enceintes des zones contaminées de Fukushima dans mes livres, sur mon twitter et mon blog. J’ai même défendu cette cause auprès de l’ONU (mais sans grand résultat).

 

Actuellement, 51 enfants ont subis une opération du cancer de la thyroïde. Le plus effroyable est que la plupart avaient déjà des métastases dans leurs poumons et leurs ganglions lymphatiques.

 

Malgré tout, le gouvernement du Japon nie tout danger sanitaire à Fukushima et affirme plutôt : « Certains parlent de saignements de nez à Fukushima (cf. la polémique du manga Oishinbo) dus aux radiations. Nous devons contrôler ces rumeurs sans fondement qui peuvent être dommageable à la reconstruction de Fukushima ».

 

En janvier 2014, j’ai été outrageusement accusée pour mes tweets par Mme Ryoko Ando (son vrai nom est Yoko Kamata), la directrice du groupe nommée Fukushima ETHOS qui encourage les habitants à continuer de vivre positivement avec un dosimètre.

 

Alors qu’aucun dirigeant de TEPCO n’aura eu de mise en examen, 3 policiers de Fukshima et 2 membres du bureau du procureur de Fukushima ont fait tout le chemin pour enquêter sur moi à Okinawa allant jusqu’à me remettre une lettre d’inculpation ! Cela signifie que je pourrais être une criminelle !

 

Durant ces deux années, j'ai été harcelée et menacée par un nombre incalculable de gens sur internet et j'ai dû bloquer environ 3000 comptes. La plupart d'entre eux m'ont appelé Demarin (Démagogue Mari), y compris le professeur Nobuhiko Ban d'ETHOS, un expert sur le développement de la leucémie. Actuellement on observe une augmentation de leucémie même en dehors de Fukushima.

 

Certains m’ont également dit sur Twitter : « Je vais te tuer », « Fais attention au feu », «Va à Okinawa pour sucer les seins de Takenouchi », « Takenouchi est un imposteur puisqu'elle collecte des dons pour ses propres activités ».

 

Malheureusement, parmi ceux-là, certains font partie de groupes de citoyens anti-nucléaire mais n’apprécient pas que j’insiste sur les ravages causés à la santé de nos enfants, et ils propagent donc des rumeurs infondées à mon sujet.

 

Chers citoyens du monde, j’ai 2 souhaits :


1. S’il-vous-plaît, signez cette pétition pour pousser le gouvernement japonais à prendre ses responsabilités et évacuer les enfants et les femmes enceintes des zones contaminées de Fukushima


Et,

 

2. Signez cette pétition pour demander justice pour les gens qui sont persécutés parce qu’ils s’inquiètent de la santé des enfants du Japon

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