20 mars 2016 7 20 /03 /mars /2016 08:18
Le 21 décembre à Futuba, Yuji Onuma assiste au démontage du panneau portant le slogan qu’il a inventé :   « L’énergie nucléaire : l’énergie pour un avenir radieux » (source KYODO)

Le 21 décembre à Futuba, Yuji Onuma assiste au démontage du panneau portant le slogan qu’il a inventé : « L’énergie nucléaire : l’énergie pour un avenir radieux » (source KYODO)

Article original publié le 29 février 2016 sous le titre: « Removal of pro-nuclear signs in Fukushima town irks slogan maker » sur le site Japan Today

 

Traduction : Evelyne Genoulaz

 

Source : Japantoday, 29 FEV. 2016. http://www.japantoday.com/category/national/view/removal-of-pro-nuclear-signs-in-fukushima-town-irks-slogan-maker . Ce lien a été supprimé depuis.

 

 

 

Koga au Japon - Quelques mois à peine avant le cinquième anniversaire de la catastrophe nucléaire au complexe de Fukushima Daiichi, une ville hébergeant la centrale sinistrée a entrepris de retirer deux enseignes qui affichaient non sans ironie le culte aveugle du Japon pour l’énergie nucléaire.

C’est un slogan qu’arborait le centre-ville à Futaba depuis 1988 :

 

« L’énergie nucléaire : l’énergie qui prépare un avenir radieux ».

 

Mais aujourd’hui la ville est morte, tous ses résidents ont été évacués faute à la contamination radioactive suite à la fusion de trois réacteurs.

Alors la ville a décidé d’enlever ces enseignes, au motif de leur décrépitude, disant qu’elles tombent en lambeaux. Mais Yuji Onuma, l’homme de 39 ans à l’origine du slogan icônique et lui-même un évacué, objecte que la ville choisirait de dissimuler un pan peu glorieux de son histoire.

« Il aurait fallu maintenir ces enseignes en place, pour rappeler aux gens, aux jeunes en particulier, ce à quoi la ville a dû faire face… Si on les ôte juste parce que cela ne colle pas avec la réalité, on court le risque de répéter les mêmes erreurs », s’est exprimé Onuma à Koga dans la préfecture d’Ibaraki, quand il s’en est allé en mai 2014.

 

Onuma a inventé ce slogan en 1987, c’était un travail d’écolier en dernière année de l’école élémentaire. A sa grande surprise, son propre slogan a été primé et se retrouva mentionné sur l’une des deux bannières pro-nucléaires qui pavoisèrent la ville.

Selon la ville, le contexte était alors à l’encouragement de soutiens locaux en faveur de l’énergie nucléaire. A cette époque, Futaba co-hébergeait déjà certains des six réacteurs de la centrale nucléaire et la ville faisait savoir qu’elle pouvait en accueillir d’autres encore, alléchée par la perspective de grosses subventions.

 

Onuma n’était encore qu’un enfant et pourtant il n’ignorait rien du risque d’accident nucléaire. Chernobyl en 1986 avait récemment ravivé la peur de la radioactivité.

Mais d’un autre côté, ses proches travaillaient à la centrale de Fukushima Daiichi et les cafés locaux ainsi que les commerces étaient florissants en raison de l’afflux des employés de TEPCO ou d’autres qui travaillaient dans le secteur du nucléaire. « On ne tenait pas de propos critiques sur le nucléaire quand ses proches travaillaient dans ce secteur. La ville était un microcosme d’environ 8 000 habitants », observe Onuma.

 

Un jour Onuma a quitté Futaba, puis il y est revenu en 2005 à l’âge de 29 ans. Il travaillait dans une société immobilière, a construit deux appartements – dont un juste à côté de la bannière qui affichait son slogan – qu’il a loués le plus souvent à des employés de TEPCO pour se faire un revenu complémentaire.

Il n’était pas peu fier de la bannière longue de seize mètres. Il se souvient qu’il avait raconté son histoire à son épouse, Sérina, 40 ans, et à ses beaux-parents lorsqu’ils avaient visité la ville à l’occasion de la cérémonie des fiançailles en 2010.

« Je leur ai présenté cette bannière, pour leur expliquer combien la ville et le nucléaire étaient liés, et que j’avais une certaine aisance avec ma location, grâce à TEPCO ».

 

Mais sa vie se trouva ruinée par l’une des pires catastrophes nucléaires au monde, déclenchée par les gigantesques séisme et tsunami du 11 mars 2011. Sa femme enceinte alors de sept mois et lui ont abandonné leur maison située à quatre kilomètres de la centrale.

Même au plus fort de la catastrophe, Onuma s’est remémoré l’enseigne parce que la télévision et tous les médias l’ont présentée comme le symbole de la ville. Il s’en est trouvé gêné.

« Cet accident a complètement changé ma façon de voir les choses » nous confie Onuma en ajoutant qu’il pense en définitive que l’énergie nucléaire a généré un avenir « maudit » plutôt que « radieux ».

Il a éprouvé du ressentiment contre cette énergie atomique en laquelle il avait eu confiance et, pour commencer à ne plus lui porter aucun crédit, il installa un générateur d’énergie solaire chez lui à Ibaraki puis il emprunta, acquit un terrain bon marché et y installa plus de 1 000 panneaux solaires.

 

Onuma est également devenu de facto le gardien des bannières promouvant l’énergie nucléaire à Futaba, depuis qu’il a réalisé en mars de l’année dernière que la ville était sur le point de les abandonner, faisant voter une provision de 4,1 millions de yens (36 000 $) au budget 2015 pour leur enlèvement.

Onuma a recueilli 6 502 signatures d’une pétition en faveur de la conservation dans la ville de cet héritage négatif ; le maire de Futaba, Shiro Ozawa, a maintenu la décision de décrocher les bannières mais il a promis de les « conserver avec soin » et de « les exposer » de nouveau le jour où la ville sortira de la crise.

Un officiel a évoqué un futur parc, mémorial de la catastrophe, mais rien de précis à ce jour.

 

En voyant en décembre qu’on ôtait son slogan de la bannière, Onuma s’est attristé de la rapidité de la mise à exécution, au regard d’une longue histoire. « Je suis déçu car le scénario n’est plus celui que j’ai connu, maintenant que ma ville tente de renaître ».

Tandis qu’on décontamine certaines parties de la ville, Onuma assure que peu font un projet de retour.

« Les bâtiments n’ont pas l’air d’avoir beaucoup changé, mais je me demande si les gens vont pouvoir revenir vivre ici sans appréhension, même après la décontamination » observe ce père de deux garçons de quatre et deux ans.

Bien que la quasi-totalité de la municipalité soit en zone de retour différé à long terme, Onuma ne perd pas espoir pour l’avenir, et il espère montrer un jour Futaba à ses enfants.

« J’aimerais partager avec mes enfants mon attachement pour ma ville natale » dit-il. « Je peux difficilement oublier mes racines…et puis je veux leur raconter ce qu’il s’est passé et pourquoi ils n’ont pas pu naître ni grandir dans cette ville pourtant si chère au cœur de la famille Onuma ».

 

Yuji Onuma et sa femme Serina étaient retournés le 9 novembre 2013 à Futaba. Ils avaient enfilé des vêtements de deuil au dessus de leurs combinaisons de protection pour aller enterrer les cendres de leur tante. (source : Vivre après Fukushima)

Yuji Onuma et sa femme Serina étaient retournés le 9 novembre 2013 à Futaba. Ils avaient enfilé des vêtements de deuil au dessus de leurs combinaisons de protection pour aller enterrer les cendres de leur tante. (source : Vivre après Fukushima)

Janick Magne, le 12 juillet 2014

Janick Magne, le 12 juillet 2014

Le photographe polonais Arkadiusz Podniesinski en 2015

Le photographe polonais Arkadiusz Podniesinski en 2015

Yuji Onuma en 2015

Yuji Onuma en 2015

La suppression des bannières pronucléaires dans une ville de la Préfecture de Fukushima hérisse le poil de l’inventeur du slogan
(Source AFP/JIJI)

(Source AFP/JIJI)

La suppression des bannières pronucléaires dans une ville de la Préfecture de Fukushima hérisse le poil de l’inventeur du slogan
La suppression des bannières pronucléaires dans une ville de la Préfecture de Fukushima hérisse le poil de l’inventeur du slogan
Démontage de la bannière en décembre 2015 (source Asahi Shimbun)

Démontage de la bannière en décembre 2015 (source Asahi Shimbun)

Aujourd'hui, la bannière n'est plus visible et l'entrée de la ville est interdite (source NEWSCOM/SIPA)

Aujourd'hui, la bannière n'est plus visible et l'entrée de la ville est interdite (source NEWSCOM/SIPA)

Vidéo du démontage sur le site de l'Asahi Shimbun

http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201512210058

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 18:11

À la veille du 5ème anniversaire de Fukushima, Akio Masumura, ancien diplomate Japonais et auteur du blog Finding the Missing Link, revient sur les débuts de la catastrophe et nous fait partager les leçons qu’il en a tirées.

Fukushima, nous dit-il en conclusion, « nous a offert l’opportunité de mener un vaste débat sur les défis auxquels sous sommes confrontés, au carrefour de multiples besoins humains : énergie décarbonée, sûreté, santé environnementale, sécurité des populations et préservation pour les générations futures. Ce sont là des questions qui définiront notre société humaine pour les siècles à venir. Nous ne devons donc pas rater l’opportunité d’en discuter en mettant sur la table tous les éléments dont on dispose. »

OG

Photo prise le 17 février 2015 : femme habitant un ensemble de logements provisoire couvert de neige à Aizuwakama, dans la préfecture de Fukushima. Ce complexe abrite des réfugiés nucléaires d’Okuma, une ville située à l’intérieur de la zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de TEPCO (Tokyo Electric Power Co.) REUTERS/Toru Hanai

Photo prise le 17 février 2015 : femme habitant un ensemble de logements provisoire couvert de neige à Aizuwakama, dans la préfecture de Fukushima. Ce complexe abrite des réfugiés nucléaires d’Okuma, une ville située à l’intérieur de la zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de TEPCO (Tokyo Electric Power Co.) REUTERS/Toru Hanai

Les leçons de Fukushima : de nouvelles inquiétudes pour l’avenir

 

Akio Matsumura

 

 

Article paru sous le titre original « Our Lessons from Fukushima: New Concerns for the Future » le 6 mars 2016 sur le site Finding the missing link.

 

Traduction française : Odile Girard (Fukushima-is-still-news)

 

 

De multiples aspects de la crise continuent à affecter la santé de la population et la sécurité environnementale.

 

Au total, 178 000 réfugiés (dont 99 750 à Fukushima) ne savent toujours pas quand ils pourront rentrer chez eux. Chaque jour, 400 tonnes d’eau contaminée s’écoulent dans l’océan. Des pluies torrentielles balaient les matériaux radioactifs encore présents sur le site pour les déverser dans la mer. 814 782 tonnes d’eau contaminées sont stockées dans plus d’un millier de citernes et chaque mois, de nouvelles citernes sont mises en place. Les 7 000 travailleurs de la centrale accomplissent chaque jour des taches dangereuses. Ces ouvriers qui prennent leur travail à cœur ont résolu jusqu’ici bon nombre de problèmes, mais certains problèmes continuent à mettre en difficulté les responsables et les équipes de nettoyage. Nul ne peut s’approcher des réacteurs 1, 2 et 3 en raison de l’intensité des radiations et il n’y a pas de solution scientifique à attendre pendant au moins 40 ans. Malheureusement, on ne peut pas exclure de nouvelles perturbations à venir : la probabilité d’un nouveau séisme important n’est pas nulle.

 

Depuis l’accident de Fukushima, nous avons eu la chance de recevoir rapidement des opinions et des recommandations de divers horizons. Physiciens nucléaires, médecins, militaires, sismologues, biologistes, océanographes, vulcanologues, journalistes, chefs spirituels, parlementaires, étudiants, organisations de citoyens et leaders d’opinion ont tous exprimé leur point de vue. La perspective horizontale qui a ainsi émergé a permis d’appréhender la situation d’une toute autre manière que si l’on s’en était tenu à une seule discipline, quel que soit le degré d’expertise du spécialiste. Les Japonais ont tiré profit de tous ces messages qui ont réussi à percer à travers la confusion régnant à l’époque dans les médias.

 

À l’occasion du 5è anniversaire de l’accident nucléaire de Fukushima, j’aimerais rappeler les premiers stades de l’événement et partager avec vous ma propre vision des choses et les recommandations tirées des leçons de ce douloureux événement.

 

Dans les deux premières semaines, les experts comme le public cherchaient des solutions techniques.

 

Est-ce que les cœurs avaient fondu ? Jusqu’à quelle distance fallait-il évacuer la population ? Comment maintenir les systèmes de refroidissement quand tant d’éléments ne fonctionnaient plus ? Les systèmes de ventilation marchaient-ils ? La situation était-elle pire qu’à Tchernobyl ? Les hélicoptères des Forces d’auto-défense pouvaient-elles arroser les piscines de combustible irradié des réacteurs 3 et 4 ?

 

Il est peut-être impossible de décrire précisément la panique qui s’est saisie alors des dirigeants et du public japonais. Les agences gouvernementales et l’opérateur chargé de la centrale, la Tokyo Electric Power Company, n’étaient pas préparés à une catastrophe nucléaire de cette ampleur. Le public les a accusés tous deux et eux se sont renvoyé la balle pour expliquer le manque de communication et les retards.

 

Confusion et panique n’étaient d’ailleurs pas limitées au Japon, mais ont aussi affecté le gouvernement américain. L’écart dans la manière dont les deux gouvernements ont évalué les dégâts des six réacteurs a été considérable, particulièrement en ce qui concerne le réacteur 4, qui se trouvait dans une situation unique, étant justement en arrêt pour maintenance. La confusion des messages sur la sûreté et les dégâts a encore accru la panique : le gouvernement japonais décidait que 20 km (12,5 miles) était la limite d’évacuation adéquate, tandis que le gouvernement américain fixait une limite de 80 km (50 miles) pour ses ressortissants. Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et d’autres pays quant à eux recommandaient à leurs ressortissants de quitter Tokyo, qui se trouve à 200 km (125 miles) de la centrale.

 

Depuis le début, certains experts savaient que la crise dépassait largement les capacités techniques du moment mais que pour pouvoir avancer, il allait falloir plus d’information.

 

Très tôt au milieu de toute cette confusion, mon ami Hans-Peter Durr, depuis décédé, ancien directeur du département d’Astrophysique à l’Institut Max Planck en Allemagne, m’a appelé pour me suggérer d’informer le Premier ministre japonais que l’accident de Fukushima était bien pire que le gouvernement japonais ne l’avait laissé entendre. Quoique le Japon n’ait pas encore à l’époque admis la fusion des cœurs, Hans-Peter savait que Fukushima nous avait amenés à la limite de nos savoirs scientifiques. Il était d’avis que le Japon devait inviter une équipe d’évaluation indépendante formée des meilleurs physiciens nucléaires et ingénieurs structurels pour développer une solution. J’ai fait passer son message urgent au cabinet du Premier ministre et aux chefs de partis.

 

Quelle était l’ampleur du problème ? Un an après la crise et l’on n’avait toujours pas vraiment idée de l’importance de la situation. Une façon de commencer à réaliser ce qui se passait réellement était de savoir combien il y avait de barres de combustible irradié sur le site. TEPCO n’avait pas communiqué cette information et j’ai donc dû demander à l’Ambassadeur Mitsuhei Murata de se renseigner discrètement auprès de sources internes. Il nous a fait savoir que le total des assemblages de combustible irradié sur le site de Fukushima Daiichi se montait à 11 421, sans compter celles qui étaient contenues dans les cuves. J’ai ensuite demandé à Robert Alvarez, qui a été haut conseiller à la sécurité nationale et l’environnement au ministère de l’Énergie américain, d’expliquer l’impact potentiel de ces 11 421 assemblages.

 

Le 3 avril 2012, Bob a interprété ce chiffre pour nous. Les résultats étaient ahurissants : il y avait 85 fois plus de césium 137 entreposé à Fukushima que la quantité émise par l’accident de Tchernobyl.

 

Même si ce césium ne risquait pas nécessairement d’« exploser » comme une bombe atomique, une telle quantité de radioactivité avait un potentiel de destruction énorme. Les gens ont été choqués d’apprendre cela. L’article a rapidement été lu par plus d’un million de lecteurs et s’est propagé de manière virale sur la Toile. Il ne fait aucun doute que sans les avertissements des scientifiques internationaux sur le désastre potentiel représenté par le réacteur 4, le gouvernement japonais n’aurait pas fait une priorité de l’enlèvement des 1 535 barres [du réacteur 4], l’équivalent de 14 000 fois la radioactivité de la bombe d’Hiroshima.

 

Sans l’avis d’experts issus de domaines différents, des informations importantes seraient restées entre les mains du gouvernement et de l’opérateur nucléaire, plutôt que d’être communiquées au public.

 

Mais même compte tenu de ces informations, des pans entiers de la crise et de ses causes restent dans le noir si l’on s’en tient aux questions techniques. M. Kiyoshi Kurokawa, président de la commission d’enquête indépendante du Parlement japonais sur l’accident de Fukushima, présente une vision différente, mais très claire.

 

Le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 sont des catastrophes naturelles dont l‘ampleur a choqué le monde entier. Quoiqu‘il ait été déclenché par ces cataclysmes, l‘accident de Fukushima Daiichi qui s‘en est suivi ne peut pas être considéré comme une catastrophe naturelle. Ce fut un désastre d’origine spécifiquement humaine ‒ qui aurait pu et aurait dû être prévu et empêché. De plus, ses effets auraient pu être atténués par une réponse plus efficace.

 

Comment un tel accident a-t-il pu se produire au Japon, une nation qui a une telle préoccupation de sa réputation d’excellence en ingénierie et en technologie? Cette Commission est d’avis que le peuple japonais ‒ et la communauté mondiale ‒ méritent une réponse complète, honnête et transparente à cette question. Ce qu‘il faut admettre, aussi douloureux soit-il, c‘est que nous avons à faire à un désastre « made in Japan ».

 

Les raisons fondamentales sont à chercher dans le souci des convenances qui fait partie intégrante de la culture japonaise : notre obéissance automatique, notre réticence à remettre en cause l‘autorité, notre attachement au « respect du programme », notre dépendance au groupe et notre insularité.

 

Personnellement, ce que je retiens de Fukushima, c’est que nous vivons entourés de nouvelles menaces et que ces menaces sont présentes depuis des dizaines d’années.

 

J’ai appris qu’un accident frappant une centrale nucléaire peut avoir des conséquences inimaginables sur la vie humaine durant des siècles. L’accident a causé des préjudices indicibles à ceux dont la vie a été bouleversée par la centrale. Si la situation s’était encore aggravée, quel aurait été l’impact de 24 000 années de dommage environnemental sur les générations futures ?

 

La situation aurait pu être acceptable si le public avait été conscient de ces risques et les avait acceptés quand la centrale a été construite. Malheureusement ce n’a pas été le cas au Japon. Même les responsables n’ont pas admis ces risques, que ce soit au moment de la construction ou au moment de l’accident. Et ils ne les admettent toujours pas, même maintenant.

 

Ce n’est que le mois dernier que TEPCO a admis, cinq ans plus tard, avoir mis deux mois à utiliser le terme de « fusion » sur le site de la centrale. Arnie Gundersen de Fairewinds et Mycle Schneider, auteur du Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire, ont indiqué qu’à partir du moment où avaient eu lieu des rejets considérables de gaz de fission, il était évident que les cœurs étaient en train de fondre. Mais le déni de TEPCO a influencé la manière dont l’entreprise a géré la panique. Comme l’avait suggéré Helen Caldicott, il était évident que le gouvernement japonais aurait dû évacuer les femmes et les enfants plus tôt et les envoyer beaucoup plus loin. Helen a écrit pour notre blog cet article : Le sacrifice nucléaire de nos enfants : 14 recommandations pour aider le Japon contaminé par la radiation. En ignorant les avertissements de nombreux experts, TEPCO et les autorités gouvernementales ont refusé d’entendre l’appel à réagir.

 

Après cinq ans de réflexion, Fukushima m’a fait entrevoir de nouvelles inquiétudes à propos des centrales nucléaires.

 

L’accident de Fukushima m’a fait faire une découverte importante, à savoir que nous n’avions pas réalisé que les radiations causées par les bombes atomiques et celles de l’accident nucléaire sont très similaires en termes de risque pour la vie humaine. Nous avons longtemps admis les dangers d’attaques à l’arme nucléaire perpétrées par des États et aujourd’hui nous comprenons la menace que représentent pour les centrales nucléaires le danger de l’erreur humaine et les catastrophes naturelles, comme les séismes, les tsunamis et les volcans. Et si les centrales nucléaires devenaient une cible ? Je crains surtout la possibilité d’attaques terroristes contre des centrales nucléaires dans les pays instables, en particulier le Pakistan.

 

Le Premier ministre Nawaz Sharif et le Président Xi Jinping se serrent la main : la Chine accepte de construire de nouvelles centrales nucléaires au Pakistan.

Le Premier ministre Nawaz Sharif et le Président Xi Jinping se serrent la main : la Chine accepte de construire de nouvelles centrales nucléaires au Pakistan.

Il devient de plus en plus probable qu’un groupe terroriste décide de s’en prendre à une, voire plusieurs centrales nucléaires dans le monde. Ces centrales et nombre d’autres installations du même genre restent exposées à de multiples menaces et les gouvernements ont encore beaucoup de mal à partager les résultats de leur renseignement. Les États-Unis ne pourraient pas avertir le Japon, pourtant un proche allié, de certaines menaces, même s’ils le voulaient ! D’autres formes de menace nucléaire, par exemple un engin de la taille d’une petite valise qui exploserait à Times Square, continuent à donner des cauchemars aux experts et au Président. Étant donné le degré de probabilité de ces risques dans les années à venir, que nous vivions en démocratie ou sous un régime autoritaire, il est très surprenant de voir que le public n’a aucune information sur la question. Comme nous l’avons vu à Fukushima, une grande détresse provient de la réalisation soudaine qu’on nous a demandé de vivre avec des risques qu’on nous a cachés jusqu’au moment où il était trop tard.

 

Les experts feront comme il se doit une grande partie du travail pour ce qui est de définir, étudier et recommander des solutions pour répondre à ces risques. Cette responsabilité augmente au fur et à mesure que de nouvelles centrales nucléaires sont construites et prévues, en particulier en Chine, en Inde, dans les Émirats arabes unis, au Vietnam et en Indonésie. Mais des échanges ouverts avec le public sont très utiles pour prévenir les attaques et les accidents et réagir de façon appropriée après coup. Les médias sociaux peuvent fournir un lien entre la société et les experts en divers domaines en cas d’accident ou d’attaque nucléaires. De fait, cela pourrait être un outil très intéressant pour compléter les efforts de ces autres organisations qui œuvrent à empêcher les catastrophes nucléaires. N’importe quelle autorité a du mal à accepter de perdre le contrôle de l’information, mais Fukushima et d’autres crises comme celle du virus Ebola ont bien montré les limites des canaux de communication venue d’en haut.

 

Les hommes politiques doivent faire face à bien des défis et intérêts contradictoires dans la mission qu’ils ont reçue de faire avancer la société. L’énergie nucléaire peut ainsi sembler une solution adaptée aux défis du changement climatique. Mais aucune évaluation ne peut être considérée comme correcte ou honnête si les risques de la solution envisagée ne sont pas présentés ouvertement à toutes les parties prenantes, y compris au public. Fukushima nous a offert l’opportunité de mener un vaste débat sur les défis auxquels sous sommes confrontés, au carrefour de multiples besoins humains : énergie décarbonée, sûreté, santé environnementale, sécurité des populations et préservation pour les générations futures. Ce sont là des questions qui définiront notre société humaine pour les siècles à venir. Nous ne devons donc pas rater l’opportunité d’en discuter en mettant sur la table tous les éléments dont on dispose.

 

Le mot de la fin : Sir Brian Flowers, éminent physicien nucléaire britannique, a fait remarquer que si des centrales nucléaires avaient été construites et déployées en Europe avant la Seconde guerre mondiale, de vastes zones d’Europe seraient inhabitables de nos jours car ces centrales auraient été la cible des méthodes de guerre et de sabotage classiques.

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 17:19

Vue satellite de la centrale de Fukushima Daini

Jusqu’où ira le Japon ? Pour les JO de 2020, Tokyo aura besoin de plus d’électricité, et pour cela, il envisage de remettre en route une centrale nucléaire, soit celle de Nigata, soit celle de Fukushima Daini, située à 12 km au sud de celle de Fukushima Daiichi. Cela provoque une grande inquiétude dans cette préfecture où les habitants sont encore traumatisés et contaminés. « Jusqu'aux Jeux Olympiques, le pouvoir va tenter de faire plier Nīgata ou Fukushima par la menace, par l'argent, et par l'intrigue », écrit notre rapporteur HORI Yasuo.

PF

Réunion du 10 février 2016 à Iwaki

Réunion du 10 février 2016 à Iwaki

Texte original en espéranto

Rapport de HORI Yasuo

traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET

et Ginette MARTIN

 

 

Le 10 février 2016

 

Réunion pour exiger l'abandon des dix réacteurs de Fukushima

Le 10 février a eu lieu dans Iwaki, ville du département de Fukushima, une "Réunion pour exiger l'abandon des dix réacteurs de Fukushima". Il y a, dans Fukushima, deux centrales nucléaires. Dans la première se trouvaient - se trouvent encore - six réacteurs nucléaires, dont quatre ont été endommagés par le tsunami et dont les deux autres ont été épargnés de justesse. TEPCO a déjà décidé de les mettre tous les six au rebut, mais pour finaliser cette opération quarante années ou davantage seront nécessaires, et jusqu'à la fin ils seront dangereux, donc je ne peux utiliser les mots "se trouvaient" et "ont été abandonnés", mais je dois continuer à écrire " se trouvent" et "seront abandonnés". Dans la deuxième centrale, il y a quatre réacteurs, dont à la fois la préfecture, toutes les villes et tous les villages de Fukushima exigent l'abandon, or TEPCO et le gouvernement n'ont répondu à cette exigence que de façon nébuleuse. Au cours de cette réunion, M. Koizumi Junichirō, ancien premier ministre, et d'autres personnes avec lui ont réclamé un changement de la politique énergétique du Japon.

Ma femme et moi, accompagnés de monsieur et madame Tanji, des réfugiés qui habitaient Iwaki, avons assisté à la réunion. Mille-cinq-cent personnes y étaient venues des diverses villes du département. La plupart étaient âgées. Le 10 février étant jour ouvré, les gens pourvus d'un emploi ne pouvaient y prendre part, de ce fait les participants étaient trop vieux.

Conférence de Koizumi Junichirō

Koizumi est né le 8 janvier 1941. Il a été premier ministre entre avril 2001 et septembre 2006. Il a donc occupé le poste pendant plus de cinq ans, durée très longue en comparaison de celles d'autres premiers ministres. Il était très populaire. Durant son ministère, il a envoyé des soldats du Corps de Défense japonais prendre part à la guerre en Irak, conformément aux exigences des États-Unis, et il était partisan de la politique énergétique nucléaire.

Cependant, après l'accident nucléaire de 2011, il a changé d'attitude face à cette politique et il a commencé à agir contre elle. Lors de l'élection du président du département de Tokyo, en février 2014, il a soutenu la candidature de l'ex-premier ministre Hosokawa. Ensemble, ils ont combattu une politique énergétique basée sur l'atome, car Tokyo était le principal consommateur du courant produit à Fukushima. Malheureusement ils ont perdu, mais Koizumi continue à se battre, en donnant des conférences en divers endroits du Japon. Voici un résumé de son exposé :

 

"On me fait souvent la critique d'être à présent opposé à une politique énergétique nucléaire, à laquelle j'étais favorable quand j'étais premier ministre. C'est qu'alors, je me fiais aux assertions des scientifiques en charge du nucléaire, mais quand l'accident s'est produit, je me suis mis à étudier la chose par moi-même et j'ai constaté que j'avais été trompé par ces gens-là. Le sage chinois Confucius a dit : "N'hésitez pas à corriger votre erreur." Suivant son conseil, j'ai donc commencé à me mobiliser contre l'énergie atomique.

 

 

1.  Mensonges au sujet d'une énergie atomique "bon marché, sûre et pure"

 

Vraiment bon marché ? Aujourd'hui encore le gouvernement dit que l'électricité d'origine nucléaire est la moins chère, mais c'est faux. Le gouvernement verse des sommes considérables aux communes dans lesquelles sont installées des centrales nucléaires et, lorsqu'arrive un accident, il doit payer de lourdes indemnités. Construire des centrales nucléaires coûte cher, aussi les banques ne prêtent-elles pas  aux compagnies d'électricité sans une garantie du gouvernement. En avril  prendra fin leur monopole de production et de vente du courant, et des compagnies concurrentes arriveront alors sur ce marché. Craignant de le perdre, les compagnies demandent que l'État les subventionne. Les centrales nucléaires sont des gouffres financiers.

 

Vraiment sûre ? Quand des accidents ont eu lieu à Three Mile Island et à Tchernobyl, les spécialistes japonais et les compagnies d'électricité ont assuré que jamais il n'y en aurait d'aussi graves dans nos centrales, car celles-ci sont très sévèrement contrôlées, or j'ai appris que de très nombreux accidents s'y étaient produits. Le haut responsable de l'Autorité de Régulation Nucléaire déclare à présent : "Je n'ai jamais dit que les réacteurs approuvés sont sûrs", mais le premier ministre Abe répète, de façon infondée, que ces réacteurs ont été approuvés selon les normes les plus rigoureuses du monde.

 

Vraiment pure ? Les réacteurs japonais sont situés en bord de mer afin qu'on puisse en utiliser l'eau pour les refroidir. Cette eau contient divers êtres vivants qui à la longue pourraient boucher les canalisations. Pour nettoyer celles-ci, on emploie un produit chloré. Ce produit et la chaleur tuent la mer. Les réacteurs nucléaires polluent beaucoup le milieu.

 

 

2. Nulle part, au Japon, n'existe un dépotoir pour déchets nucléaires

 

J'ai visité Onkalo, le dépôt définitif pour déchets nucléaires de Finlande. On a construit en cet endroit un lieu de stockage de deux kilomètres carrés, sur une couche rocheuse stable, à quatre-cent mètres de profondeur. La Finlande a quatre réacteurs, mais on ne peut y stocker les déchets que de deux réacteurs seulement, et pour les deux autres on n'a pas de lieu de stockage. Le Japon est un pays volcanique, c'est pourquoi il ne s'y trouve aucun endroit aussi stable qu'en Finlande, de plus notre pays est si densément logé qu'il est impossible d'y avoir un lieu convenant au stockage.

 

3. Le Japon peut progresser sans énergie atomique

 

L'Allemagne a déclaré qu'elle devait se débarrasser de ses centrales nucléaires, mais elle n'en est pas encore débarrassée; le Japon, au contraire, n'a rien déclaré de pareil mais il a été, de fait, complètement débarrassé d'elles pendant deux ans, et presque complètement durant trois ans, avec d'abord un, puis à présent trois réacteurs en marche. Il est clair que le Japon peut progresser sans centrales nucléaires. S'il utilise désormais davantage d'énergie renouvelable, notre économie progressera. Le Japon a toujours surmonté les difficultés au cours de son histoire. Par exemple, nous avons été vaincus lors de la dernière guerre et nous avons perdu tous les territoires hors de l'archipel, et pourtant le pays progresse. Les Japonais sont capables de transformer leurs infortunes en bonnes fortunes. Supprimer les centrales nucléaires est un grand rêve, mais ce rêve n'est nullement irréalisable. Attelons-nous ensemble à la tâche !"

 

(fin du résumé)

 

Corriger ses erreurs est une bonne chose, mais pourquoi donc Koizumi n'a-t-il prêté l'oreille qu'à de mauvais conseillers ? Depuis longtemps déjà des savants honnêtes s'opposaient à l'énergie atomique et mettaient en garde contre la dangerosité des réacteurs nucléaires. Il s'est réveillé et, désormais, il agit. C'est tout à fait louable, mais je regrette qu'il ait dormi lorsqu'il était premier ministre. Il s'est démis, depuis, de ses mandats, même de celui de parlementaire. Résultat : aux yeux du mauvais premier ministre Abe, il est devenu quantité négligeable.

 

Je me suis aperçu qu'il était du même âge que moi : il est né en janvier 1942 et moi, en décembre 1941. Il s'implique vigoureusement dans l'action, donc il faut que moi aussi j'agisse vigoureusement pour sauver le Japon.

Discours du maire de Minami-Sōma, M. Sakurai Katsunobu

"La ville de Minami-Sōma compte aujourd'hui encore vingt-sept-mille réfugiés. De toutes les villes victimes du tsunami, elle est celle dont le nombre de réfugiés est le plus important. Sur ces 27 000, 9300 sont déjà sont partis loger dans d'autres villes et ne sont donc plus au nombre de nos concitoyens; mille habitent hors de la ville et les huit-mille autres habitent bien dans la ville, mais pas dans leur maison.

La ville a subi l'assaut du tsunami et 2 500 personnes ont disparu*, que nous avons dû rechercher, et ensuite s'est produit l'accident nucléaire. Cependant, ni la préfecture ni le gouvernement n'ont donné d'informations sur la situation. Ils ont considéré nos vies comme négligeables. Ils nous ont abandonnés. Nous étions tous furieux.

 

* Sur ces 2500, 997 ont été retrouvées mortes.

 

Plus tard, le 15 mars, j'ai entendu à la télévision que le réacteur n° 3 était en danger. Je savais qu'il fonctionnait au combustible mox. Si un grave accident se produisait, il s'en écoulerait du plutonium, le plus dangereux des produits radioactifs, et j'ai donc pris seul la décision d'évacuer 14 000 citadins vers la préfecture de Nīgata. Son président m'avait promis qu'il les accueillerait, car dans le Nīgata aussi se trouve une centrale de TEPCO, et il nous plaignait donc, pensant que le sort qui aujourd'hui était le mien, serait le sien demain peut-être.

 

Avant l'accident, le gouvernement avait donné consigne aux villes dans lesquelles se trouvent des centrales nucléaires de ne pas faire de plan d'évacuation des habitants dans un rayon de dix kilomètres, car cela les inquièterait. Le pouvoir croyait et faisait croire aux gens, qu'au Japon jamais il n'y aurait d'accident sérieux.

 

À cause de l'accident, le territoire de notre ville est divisé en trois catégories en fonction de la distance à la centrale nucléaire endommagée n° 1 de Fukushima, à savoir : une zone comprise dans un rayon de vingt kilomètres, une zone entre vingt et trente kilomètres et une zone au-delà de trente. Dans ce cadre, certains habitants devaient partir tout de suite, d'autres devaient attendre et d'autres encore n'avaient pas à partir, et selon ces catégories TEPCO payait - ou paie encore - une indemnité. Ce système a été la cause de grandes difficultés pour les habitants, engendrant la discorde entre eux, car la chute de matières radioactives ne se faisait pas forcément en fonction des distances. Il est arrivé que des points situés dans la zone d'au-delà de trente kilomètres étaient si pollués que les gens devaient fuir, mais TEPCO ne leur a versé aucune indemnité.

Le 11 août 2015 le réacteur nucléaire de la centrale de Sendai, dans l'île méridionale de Kyushu a été réactivé. Le premier ministre Abe a bien dit : "Tant que Fukushima ne sera pas tiré d'affaire, le Japon ne sera pas tiré d'affaire.", mais s'il le croit vraiment, pourquoi a-t-il approuvé la remise en marche de ce réacteur? La préfecture de Fukushima et ses 59 villes et villages exigent l'abandon des quatre réacteurs de la centrale nucléaire n° 2. Or le gouvernement ne leur a jamais répondu clairement. La compagnie TEPCO dit que, le pouvoir ne se prononçant pas nettement, elle ne peut pas, elle, prendre de décision. Je les soupçonne, l'une et l'autre, de vouloir remettre en route ces quatre réacteurs.

 

TEPCO n'a pas le droit, ni le pouvoir de faire refonctionner ces réacteurs. Dix jours après la survenue de l'accident, l'un de ses responsables nous a rendu visite. Pourquoi ne sont-ils pas venus tout de suite dans notre ville? Quand nous sommes allés voir le président de la compagnie, à Tokyo, pour lui poser des questions, il nous a salués dans le couloir mais ne nous a pas fait entrer dans son bureau. Pourquoi ne nous a-t-il pas demandé pardon en personne pour l'accident ? TEPCO a dit qu'aucune des victimes n'a trouvé la mort. Cette compagnie n'a ni compétence, ni honnêteté, ni capacité, en tant que future productrice d'électricité par réacteurs nucléaires.

 

La ville de Minami-Sōma s'est déclarée, en mars 2015, ville sans centrale nucléaire, plaçant son espoir dans un monde fondé sur une énergie renouvelable. Ensemble, faisons naître un tel monde !"

 

(Fin du disours)

 

J'ai été très ému par le discours du maire. À plusieurs reprises déjà, j'avais visité cette ville. Elle souffre vraiment des suites du séisme, du tsunami, de l'accident nucléaire et du discrédit qui s'attache au nom de Fukushima. En voyant l'état misérable de la ville et de ses habitants, ma fureur à l'égard de l'accident nucléaire et de la politique énergétique du gouvernement actuel s'est accrue jusqu'à l'exaspération.  C'est pourquoi j'ai écouté son discours avec une telle émotion.

 

Au sujet de la centrale n°2, l'intervenant suivant a dit : "Le gouvernement redoute que l'électricité ne manque lors des Jeux Olympiques de 2020. C'est pourquoi il veut disposer du courant de la centrale nucléaire n°2 de Fukushima."

 

Auparavant, 32% de l'électricité qu'utilisait Tokyo provenait du département de Fukushima et 20%, du département de Nīgata. C'est dans ce dernier que se trouve la centrale nucléaire Kashiwazaki-Kariwa de TEPCO, qui a sept réacteurs et dont la capacité totale de production était de 8,21 millions de kilowatts. C'était alors la quantité la plus grande du monde, mais en juillet 2007 il y eut dans la mer de Nīgata un grand  séisme et la centrale fut sinistrée et s'arrêta. Le président du département, Izumida, n'a pas confiance dans TEPCO à cause de fréquents agissements déloyaux de la compagnie, si bien qu'il n'autorise pas le redémarrage, exigeant qu'auparavant elle  recherche les causes de l'accident de Fukushima. Il est sûr que les dirigeants font pression sur le gouverneur de la préfecture, mais jusqu'à présent ils n'ont pas réussi à le convaincre. Il se peut qu'en 2020 également il leur soit difficile d'obtenir du courant de Nīgata.

Ils veulent donc garder Fukushima comme solution de rechange. Jusqu'aux Jeux Olympiques, le pouvoir va tenter de faire plier Nīgata ou Fukushima par la menace, par l'argent, et par l'intrigue.

 

En fin de réunion, nous avons adopté une résolution dans laquelle étaient mentionnés les points suivants :

 

1.  D'après le recensement, le nombre d'habitants dans les villes proches de la centrale nucléaire n°1 mentionnées ci-dessous est :

Namie: 0                 Ōkuma: 0             Fukata: 0

Tomioka: 0              Ītate: 41                Katsurao: 18

Dans l'histoire moderne du Japon, jamais une telle situation ne s'était présentée, même lors de la deuxième guerre mondiale, au cours de laquelle périrent 62 000 habitants de Fukushima.

 

2. Cinq lycées de la région côtière seront temporairement fermés (pendant de nombreuses années, peut-être).

 

La résolution s'achevait sur ces mots :

Nous tous, ayant été évacués ou non, réfugiés ou non, étant revenus ou non, tâchons de nous comprendre les uns les autres, main dans la main, et renforçons-nous dans notre volonté de ne plus voir jamais se produire d'accidents nucléaires.

 

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1 mars 2016 2 01 /03 /mars /2016 13:12
Nettoyer Fukushima pour les JO de Tokyo

Tokyo va accueillir les JO en 2020. Mais voilà, il y a eu Fukushima en 2011. Gros problème, est-ce que le public international et les sportifs vont accepter de se déplacer dans un pays radioactif ? Que faire pour nettoyer efficacement quand tous les systèmes de décontamination possibles ne marchent pas ? Il y en a bien qui proposaient d’effacer Fukushima mais l’expérience montre que malgré beaucoup d’efforts, par exemple pour freiner l’utilisation des radiamètres, il y a toujours des petits malins pour poster des vidéos de compteurs Geiger crépitants dans les parcs publics ! Il n’y a qu’une solution en fait : le déni officiel avec martellement massif que tout va bien. Le gouvernement japonais, main dans la main avec le village nucléaire et les médias adoubés, propose un retour à la normale obligatoire.

Tout le monde doit rentrer

 

Le gouvernement a décidé de supprimer les aides au logement des familles évacuées. En 2018, hop, tout le monde doit rentrer à la maison. Est-ce que c’est moins radioactif qu'en 2011 ? Certes, ça l’est un peu moins grâce à la décroissance radioactive, à la karchérisation et au raclage des sols, mais ces saletés de microparticules radioactives reviennent sans cesse avec le vent et la pluie. Qu’à cela ne tienne, il suffit de décréter qu’en dessous de 20 mSv/an il n’y a pas de problème sanitaire et c’est bon. Tant pis pour ceux qui ne veulent pas revenir. Tant pis pour ceux qui seront obligés de revenir, enfants ou pas ; s’ils tombent malades bien après les JO, on pourra toujours trouver une solution pour expliquer l’augmentation des maladies (le stress, la radiophobie, le réchauffement climatique, les pesticides, etc.).

Les familles sont abandonnées à leur sort dans la préfecture de Fukushima

Les familles sont abandonnées à leur sort dans la préfecture de Fukushima

Arrêter l’information

 

On va aider la population à ne plus stresser en arrêtant progressivement de l’informer. Dans un premier temps, on avait posé des milliers de bornes de mesure de la radioactivité dans la préfecture de Fukushima. On avait fait beaucoup d’efforts pour baisser l’affichage des mesures publiques en faussant l’étalonnage et en prenant soin de bien nettoyer chaque jour l’appareil. Mais il y a des petits malins (est-ce les mêmes ?) qui s’amusent à comparer les chiffres avec ceux de leur propre appareillage ! Non, tout ça, c’est fini. A partir d’avril 2017, on démontera 2500 bornes de surveillance (sur 3600, soit 70% des bornes), même celles des écoles. Trop c’est trop, il faut lutter contre la radiophobie ! Ah si seulement on pouvait interdire les radiamètres !

Constat d’une borne truquée dans la ville de Fukushima

Constat d’une borne truquée dans la ville de Fukushima

Accepter d’être une victime

 

Les gens réfléchissent trop. Le mieux est qu’ils acceptent une fois pour toute d’être des victimes et ils vivront mieux. Quelle joie de reconstruire Fukushima si on oublie les radionucléides ! Si vous n’en êtes pas convaincus, le programme Ethos est fait pour vous. Inventé pour les populations vivant en territoire contaminé près de Tchernobyl, il a été repris pour Fukushima. Quoi de mieux qu’une population résiliente qui apprend à éviter les hot spots et accepte de faire attention à tout ce qu’il mange et tout ce qu’il touche (du moins au début, après on s’habitue et on oublie le danger). L’ASN, partie prenante du projet Ethos pour les territoires contaminés biélorusses vous raconte tout ici. Mais je vous conseille aussitôt de lire l’avis du journaliste Kolin Kobayashi ou d’écouter le docteur Michel Fernex, ils vont vous expliquer ça autrement.

Le Dr Michel Fernex explique le programme Ethos

 

Normaliser les activités dangereuses

 

Après avoir décrété l’ « arrêt à froid » en décembre 2011, Tepco décrète l’arrêt de la prise en compte du risque radioactif en 2016.  Le niveau de radioactivité au sol étant aujourd’hui inférieur à 5 μSv/h sur 90% du site nucléaire, le règlement va changer de façon à ce que les ouvriers n’aient plus forcément à mettre d’habits de protection ni de gants. Pourquoi ce principe de non précaution ? Tout simplement pour donner l’illusion que le problème se limite aux réacteurs. D’ailleurs, le mur de glace souterrain qui entourera les 4 réacteurs en détresse va, dit-on, isoler définitivement les coriums de l’environnement. Les ouvriers ne seront plus ennuyés par tous ces vêtements de protection « inutiles » qu’il est ensuite difficile d’éliminer sans créer de nouveaux déchets radioactifs. Et surtout, les sportifs et leurs supporters seront rassurés !

Stade de foot occupé par le dortoir des ouvriers au J-village (photo Ikuro Aiba)

Stade de foot occupé par le dortoir des ouvriers au J-village (photo Ikuro Aiba)

Trouver une solution pour les déchets

 

Avec le nucléaire, le problème des déchets radioactifs se pose en permanence, qu’il y ait une catastrophe ou pas. Que faire des près de 10 millions de sacs de produits contaminés répartis sur plus de 100 000 sites ? Le gouvernement a beau promettre aux propriétaires de terrain que ces sacs seront enlevés dans 30 ans, personne n’y croit. En attendant, les sacs s’entassent. Les plus anciens commencent à s’abîmer, certains sont emportés par des inondations… On ne sait plus où les mettre ! On ne peut pas empêcher la végétation de s’y installer, on ne peut pas empêcher les enfants de jouer avec, on ne peut pas arrêter la détérioration du plastique… Pour que ces déchets ne fassent pas d’ombre aux JO, le gouvernement devra imposer un site de stockage avant 2020. Est-ce grave pour la démocratie ?

Champ de sacs de déchets radioactifs à Iitate

Champ de sacs de déchets radioactifs à Iitate

On y croit !

 

Le nucléaire, c’est une religion. Il faut y croire pour que ça marche, il faut détourner les yeux des 116 cancers de la thyroïde, débrancher les radiamètres, et surtout… se donner les moyens. Les autorités feront tout pour cacher la vérité sur les risques afin que les JO se passent bien et que le Japon retrouve sa splendeur d’antan. En 2020 tout aura été nettoyé, le Japon sera redevenu clean, les coriums seront prisonniers d’un mur de glace, les déchets auront été stockés dans un centre technique, couverts d’une bâche immaculée, les évacués n’existeront plus puisqu’ils n’auront plus d’indemnités, le réacteur n°3 aura reçu sa superstructure flamboyante, les 8000 ouvriers de la centrale seront souriants et les enfants, « sous le ciel bleu de Fukushima, joueront au ballon en regardant vers l’avenir » (Shinzo Abe)

Microparticule contenant du césium 137 trouvée dans l’air de Tsukuba (Nord-Est de Tokyo)

Microparticule contenant du césium 137 trouvée dans l’air de Tsukuba (Nord-Est de Tokyo)

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26 février 2016 5 26 /02 /février /2016 11:13
Un nouveau produit dérivé de la fusion des cœurs a été découvert au loin de la centrale de Fukushima Daiichi

Article original publié le 4 février 2016 sous le titre: « New Meltdown Byproduct Found Far From Fukushima Daiichi » sur le site SimplyInfo avec l’autorisation de l’auteur

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Traduction : Evelyne Genoulaz

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Illustration ci-contre : Photo des substances de sable noir trouvées à Namie, documents de recherche de Marco Kaltofen (crédit photo Marco Kaltofen)

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Des chercheurs ont trouvé une substance d’un nouveau type, en relation étroite avec les fusions des cœurs à la centrale de Fukushima Daiichi. Au cours des dernières années, nous avons régulièrement communiqué sur une « substance noire » qu’on retrouvait sur l’île principale du Japon. Il s’agit d’un sable noir extrêmement radioactif, une matière qui s’est concentrée dans les caniveaux ou sur les routes, et qu’on a pu retrouver jusqu’à Tokyo. Des analyses ont établi une relation entre cette substance et les fusions des cœurs à l’intérieur des réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi. La nouvelle découverte en question est également en étroite relation avec les réacteurs dévastés.

Des chercheurs au Japon ont en effet découvert de nouvelles substances qu’ils décrivent comme de minuscules particules de verre sphériques extrêmement radioactives. Ces particules de verre présentent une structure assez différente de celle de la « substance noire » mais comme elle, elles sont liées aux fusions dans les réacteurs. Une de ces particules de verre, étiquetée NWC-1, avait été recueillie à Nihonmatsu en 2011 au moment de la catastrophe. Nihonmatsu se trouve à environ 40/45 km plein ouest par rapport à la centrale de Fukushima Daiichi. Le site de cette ville est au sud de la ville de Fukushima et au nord de Koriyama. Son territoire est bien au-delà de la zone d’évacuation et actuellement habité sans restriction d’aucune sorte.

 

Du Césium présentant de hauts niveaux de radioactivité se trouve inclus dans ces particules de verre. Les chercheurs ont établi que le débit de dose le plus élevé se trouve au cœur de la particule, ce qui indique que le Césium fut incorporé pendant la phase de fusion des cœurs. On observe également une inclusion de matières, ou du béton provenant de l’enceinte de confinement, ou encore de l’eau de mer qui fut injectée. Ces observations permettent de conclure que cette substance s’est formée ou bien après que le combustible fondu eut transpercé l’enceinte du réacteur et entamé sa progression dans le plancher en béton de l’enceinte de confinement, ou alors après l’injection l’eau de mer. Ces injections sont en effet intervenues tardivement dans la phase de fusion, de plus on a découvert dernièrement que toute cette eau ou la majeure partie fut déversée dans une mauvaise direction et non pas sur les enceintes des réacteurs. Ces billes de verre se seraient formées entre le moment de la détérioration de l’enceinte d’un premier réacteur et le début de l’injection d’eau ou peu après. Cette découverte pourra aider à identifier lequel des réacteurs a produit ces sphères et comment.

Photo de la sphère de verre de Nihonmatsu, de « Yamaguchi et al. study ». Traduction de légende : Image de la microparticule contenant du Césium, déposée sur un textile non tissé, re-cueillie à Nihonmatsu, [Préfecture de] Fukushima, en 2011 (NWC -1). Image prise avec Hitachi S-4500 SEM à 2.0 kV

Photo de la sphère de verre de Nihonmatsu, de « Yamaguchi et al. study ». Traduction de légende : Image de la microparticule contenant du Césium, déposée sur un textile non tissé, re-cueillie à Nihonmatsu, [Préfecture de] Fukushima, en 2011 (NWC -1). Image prise avec Hitachi S-4500 SEM à 2.0 kV

Section transversale de la sphère de verre de Nihonmatsu NWC-1, crédit photo Yamagu-chi et al.

Section transversale de la sphère de verre de Nihonmatsu NWC-1, crédit photo Yamagu-chi et al.

Il est inattendu d’avoir trouvé une particule à Nihonmatsu. Une seconde bille de verre a été découverte à Fukushima sur une feuille de cèdre, mais l’endroit précis n’est pas mentionné. Nihonmatsu est au plein ouest de la centrale et non pas dans la zone documentée comme survolée par le nuage radioactif, qui s’est dirigé au nord-ouest et au sud du site sinistré. Cela indiquerait que des substances provenant des réacteurs eux-mêmes furent projetées bien plus loin qu’on ne l’avait d’abord supposé. Ces particules de verre sont suffisamment petites pour être susceptibles d’être inhalées. A ce jour les chercheurs ignorent encore sur quelle distance ces matières se sont dispersées. Mais c’est la démonstration que des substances provenant de l’intérieur des réacteurs se sont bien échappées des bâtiments et ont été dispersées sur une longue distance. Etant donné leur haut niveau de radioactivité interne, elles pourraient représenter un risque sanitaire significatif.

Des matières radioactives se sont répandues sur des zones étendues, non seulement dans les régions présentant de hauts débits de dose situées au nord-ouest de la centrale de Fukushima.

Des matières radioactives se sont répandues sur des zones étendues, non seulement dans les régions présentant de hauts débits de dose situées au nord-ouest de la centrale de Fukushima.

Nous publions deux tableaux comparatifs, succincts, des substances dérivées des deux réacteurs dévastés :

https://docs.google.com/spreadsheets/d/1RAbsClYl3KIZkHeI1don3Zfe_AYBKF_vW3C7tWlIpXw/edit#gid=0

Merci de se reporter aux études pour une information plus détaillée.

 

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Pour en savoir plus :

 

Etudes scientifiques sur les particules sphériques vitrifiées :

- Emission of spherical cesium-bearing particles from an early stage of the Fukushima nuclear accident (Kouji Adachi et alii, publié en ligne le 30 août 2013 sur le site Nature.com)

- Internal structure of cesium-bearing radioactive microparticles released from Fukushima nuclear power plant (Noriko Yamaguchi et alii, publié en ligne le 3 février 2016 sur le site Nature.com)

 

Etude scientifique sur la poussière noire :

- Radiological analysis of Namie street dust (Marco Kaltofen, publié le 31 mai 2013)

 

 

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 00:21
Fission à Fukushima ?

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Les 26 et 27 octobre 2015, la CTBTO (Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty Organization, OTICE en français, Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires) a observé un pic de Xénon 133 – gaz radioactif – à la station de Takasaki (préfecture de Gunma). A cette date, les vents poussaient doucement les masses d’air provenant du sud, c’est-à-dire de la région de Tokyo. Comment cela est-ce possible alors que tous les réacteurs de l’île d’Honshū sont à l’arrêt ?

 

Il faut observer les vents de la veille pour comprendre. Le 25 octobre, des vents de 30 à 40 km/h ont soufflé sur la région de Fukushima du nord au sud en poussant des masses d’air au large de la péninsule de Bōsō, au sud-est de Tokyo ; puis les vents ont tourné vers l’ouest et ont rabattu les nuages dans la direction de la capitale nippone et enfin vers le nord et la préfecture de Gunma. Il semble donc que ces pics de pollution au Xénon 133 soit imputables à la centrale de Fukushima Daiichi.

 

Les vents du 25 octobre 2015

Les vents du 25 octobre 2015

Depuis 1996, date à laquelle le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires a été lancé, 282 stations de surveillance de la radioactivité et des évènements sismiques ont été certifiés, dont près d’une trentaine qui analysent la présence de Xénon 133. Ce gaz radioactif étant plus lourd que l’air, il a tendance à rester dans les niveaux atmosphériques de surface. Et comme c’est un gaz rare qu’on ne trouve pas à l’état naturel, il a été choisi, entre autres, afin de tracer les éventuels essais nucléaires atmosphériques. Ce gaz est en effet un produit de fission, signant une réaction en chaîne récente puisque sa période radioactive n’est que de 5,2 jours.

 

 

Trop de Xénon 133 à Takasaki

 

Comme il n’y a pas eu d’essai nucléaire atmosphérique en 2015, la présence de ce gaz dans des proportions anormales (dans le graphique « abnormal threshold ») résulte donc d’une réaction en chaîne « non ordinaire ». Pourquoi la CTBTO a-t-elle diffusé ce graphique de Takasaki pour les années 2014 et 2015 dans un rapport concernant la Corée du Nord ? Pour montrer que l’essai atomique  effectué début janvier 2016 n’a pas été détecté au Japon. Ça aurait été plus logique qu’ils diffusent un graphique d’une station qui l’aurait détecté, mais bon… En voulant rester discret sur les taux de Xénon détectés pour l’essai nord-coréen, ils ont dévoilé ce qui se passait au Japon. Ce qu’ils ont regretté quelques jours plus tard : le rapport où était publié ce graphique était disponible en ligne début janvier 2016 sur le site de la CTBTO.

On pouvait le télécharger avec ce lien :

https://www.ctbto.org/fileadmin/user_upload/public_information/2016/Briefing_PrepCom_7_Jan_2016.pdf. Or ce rapport a disparu depuis et l’image avec. Mais comme je l’ai téléchargé à temps, vous pourrez tout de même en prendre connaissance en cliquant ici. Serait-il possible qu’une personne très attentionnée, ayant appris que cette image révélait des choses fâcheuses, ait décidé de supprimer l’accès au rapport pour ne pas créer d’ennui au Japon qui prévoit d’organiser les Jeux Olympiques à Tokyo en 2020 ? Ou bien est-ce que c’est parce que ce graphique ne colle pas avec leur modélisation de l’évènement publiée ensuite ?

 

Le rapport de la CTBTO du 7 janvier n’est resté en ligne que quelques jours

Le rapport de la CTBTO du 7 janvier n’est resté en ligne que quelques jours

Au sujet de ce graphique censuré, il faut savoir que les scientifiques qui analysent ce genre de relevé admettent que le « bruit de fond » de Xénon 133 (les pastilles jaunes et vertes sur le graphique) est « normal ». En fait, il ne l’est pas du tout car ce gaz rare n’existe quasiment pas à l’état naturel. Ils le considèrent comme « normal » car ils considèrent « normale » l’utilisation de l’énergie nucléaire qui produit ce gaz. Une carte tirée d’un article du CEA de 2012 montre que les pays qui utilisent l’énergie nucléaire, et les pays limitrophes, baignent dans le Xénon 133 à des taux certes faibles mais continus.

 

Carte du bruit de fond artificiel du Xénon 133 dans le monde

Carte du bruit de fond artificiel du Xénon 133 dans le monde

Revenons au graphique diffusé malgré tout. A Takasaki, les pics de Xénon 133 précédents celui de fin octobre ont eu lieu au mois de juillet 2015 où des vents du nord-est ont poussé la pollution jusque Takasaki. Il se trouve qu’une réaction en chaîne, appelée aussi accident de criticité quand celle-ci n’est pas gérée dans un réacteur en bon état de marche, produit un autre élément de fission, l’Iode 131, connu pour sa forte toxicité car il se fixe dans la glande thyroïde. Or, cet élément, qui a une période de 8 jours, est retrouvé régulièrement dans des boues de station d’épuration. On peut donc en déduire la même chose qu’avec le Xénon 133 : il y a eu une réaction en chaîne de produits fissiles il y a peu de temps.

 

 

Iode 131 et Xénon 133

 

Si l’on observe les relevés d’Iode 131 effectués en 2015 pour les boues de la station d’épuration de Koriyama (préfecture de Fukushima), on constate une nette corrélation avec les pics de Xénon 133 de Takasaki : exceptés les mois de janvier et d’août 2015, les 9 autres mois documentés ont des correspondances, avec en particulier l’absence de détection de produits de fission en mars et en septembre-octobre pour les deux sites. Ce parallélisme de pollution ou de non pollution par des produits de fission paraît signer les mêmes évènements de criticité, très probablement à l’ex-centrale nucléaire de Fukushima Daiichi puisque mis à part le réacteur de Sendai situé à 1000 km de là, le Japon n’a plus de réacteur en marche.

 

Corrélations entre la présence de Xénon 133 à Takasaki et d’Iode 131 à Koriyama en 2015
Corrélations entre la présence de Xénon 133 à Takasaki et d’Iode 131 à Koriyama en 2015

Corrélations entre la présence de Xénon 133 à Takasaki et d’Iode 131 à Koriyama en 2015

Durant la majeure partie de l’année 2015, il est donc observé une corrélation entre le Xénon 133 mesuré à Takasaki et l’Iode 131 mesurée à Koriyama. Les périodes où il n’y a pas de correspondance coïncident la plupart du temps à une détection d’Iode 131, ce qui peut s’expliquer par la plus grande proximité de Koriyama de Fukushima Daiichi (70 km, contre 220 pour Takasaki) et par la période radioactive plus longue de l’Iode 131 par rapport au Xénon 133 (respectivement 8 contre 5,2 jours). Les mesures effectuées rapportent des taux très faibles de ces éléments radioactifs, mais suffisants – puisque la CTCTO le remarque – pour signaler un problème (on mesure là des millibecquerels/m3 !).

 

Dans l’usine qui ne produit plus d’électricité depuis 5 ans, se nichent 3 coriums qui, semble-t-il, n’arrêtent pas de se réveiller. Ces trois magmas composés principalement de matière fissile, l’Uranium 235, aidés par l’eau de refroidissement qui joue aussi le rôle de modérateur, peuvent s’activer comme bon leur semble au hasard de la géométrie souterraine qu’ils ont forgée en 2011 en fondant et en s’enfonçant dans le sol de la centrale. Ils semblent avoir des phases de criticité qui se font et se défont par apparition intermittente des facteurs favorables à une réaction en chaîne. Tout ceci se passe à l’abri du regard des hommes. Il y a beau y avoir 7000 travailleurs sur le site de Fukushima Daiichi, aucun ne maîtrise le phénomène. En revanche, tous peuvent le subir, car c’est sur le site même que les concentrations radioactives sont les plus fortes avant de se répandre dans l’atmosphère. Ces émanations gazeuses invisibles peuvent apparaître n’importe quand, sans prévenir, en tout lieu proche des trois ex-réacteurs qui ont perdu leurs cœurs.

 

Parallèlement à ce Xénon, les mesures réalisées dans une station d’épuration de la préfecture de Gunma montrent aussi la présence d’Iode 131 dans les boues. Cela a été constaté par exemple pour des échantillons pris du 27 au 29 juillet 2015. De l'Iode 131 avait également été relevé dans 2 échantillons de mai et de juin 2015. Il ne s’agit pas de coïncidences mais de pollutions atmosphériques constatées dans divers endroits à des périodes identiques aux dépassements de Xénon à Takasaki.

 

Pour les incrédules, il suffit de regarder le pic de Xénon 133 que l’on voit avec des pastilles bleues dans le graphique de la CTBO. On ne sait pas pourquoi les triangles rouges ne sont pas utilisés mais peu importe, ces valeurs dépassent la ligne de « normalité ». Ce pic a eu lieu entre le 12 octobre et le 12 novembre 2014. Or, à cette même période, selon un document mis en ligne par la préfecture de Fukushima, la radioactivité de l’Iode 131 est montée en flèche dans une station d’épuration de Fukushima.

 

Mise en parallèle d’un pic d’Iode 131 suivi d’un pic de Xénon 133 en 2014

Mise en parallèle d’un pic d’Iode 131 suivi d’un pic de Xénon 133 en 2014

De l’Iode 131 également à Tokyo

 

Les vents tournent et emmènent le panache radioactif de Fukushima dans une grande partie du Japon. On en retrouve aussi à Tokyo dans deux stations d’épuration où des échantillons ont été collectés entre le 2 et le 15 décembre 2015.

Mais il n’y a pas que les gaz qui se déplacent avec le vent. En décembre 2015, on a retrouvé à Iwaki 5600 Bq/kg puis 7993 Bq/kg de Cs 134/137 – encore des produits de fission – dans la poussière d’un aspirateur. La poussière transporte aussi la radioactivité. On a beau nettoyer, elle revient toujours. Il faut dire qu’une microparticule contenant par exemple du Césium ne pèse pas bien lourd. Celle visible sur l’illustration ci-dessous grâce à un microscope électronique ne pèse que 18 milliardièmes de milligrammes (pour une densité supposée de 2 g/cm3, source) ! Elle a pourtant une activité de 6,58 Bq en Césiums 134 et 137.

 

Particule sphérique de 2,6 µm contenant du césium dans un prélèvement atmosphérique des 14-15 mars 2011 effectué à Tsukuba.

Particule sphérique de 2,6 µm contenant du césium dans un prélèvement atmosphérique des 14-15 mars 2011 effectué à Tsukuba.

On en retrouve aussi dans les aspirateurs de Tokyo, bien que cette ville soit plus éloignée de la centrale : 81,4 Bq/kg de Cs 137 pour une mesure effectuée en août 2015.

L’année 2015 n’a donc pas été meilleure qu’une autre. L’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, avec ses probables phénomènes persistants de reprise de criticité et la dissémination des poussières radioactives, reste ingérable.

 

 

Des années de criticité cachée

 

Depuis qu’on observe la centrale maudite, on suppose cette criticité grâce à différents indices.

En novembre 2011, il y avait déjà une production de Xénon, et en 2012, des évènements étaient manifestes car il se produisait énormément de chaleur, et donc de vapeur d’eau. J’avais fait à l’époque une collection de vidéos de ces débordements de vapeur sortant des différents réacteurs alors que les autorités avaient décrété « l’arrêt à froid ». Malheureusement, toutes les sources internet, je dirais aujourd’hui toutes les preuves, ont été supprimées du web afin probablement de cacher ce phénomène récurrent. Pourtant, même Tepco avouait à l’époque que du Xénon radioactif était détecté dans l’usine.

En 2013, Tepco a continué à donner des infos sur la détection de Xénons 133 et 135, mais cette fois en affirmant qu’ils résultaient de désintégrations spontanées. Cela n’a jamais pu être vérifié car l’opérateur n’a pas cru bon donner les valeurs des mesures. La même année, de la vapeur a également été visible sortant du réacteur 3, mais Tepco a prétendu que c’était à cause d’infiltrations d’eau de pluie. Une autre photo aérienne d’août 2013 a montré la centrale dans une sorte de brouillard localisé sur la centrale.

 

Brouillard localisé sur la centrale de Fukushima Daiichi en août 2013 (source NHK)

Brouillard localisé sur la centrale de Fukushima Daiichi en août 2013 (source NHK)

En 2014, c’était plus de 1000 Bq/kg d’Iode 131 qu’on découvrait dans des boues d’égouts du nord de la préfecture de Fukushima.

 

Bien sûr, tous ces évènements sont isolés et ne représentent pas des preuves directes de criticité à la centrale de Fukushima Daiichi. Mais si ce n’est pas ça, alors c’est quoi ? Le Xénon 133 et l’Iode 131 sont des produits de fission et tous les réacteurs du centre et du nord du Japon sont à l’arrêt. Alors, où se trouvent les réactions en chaîne détectées régulièrement si elles ne sont pas dans les entrailles du monstre aux trois cœurs ?

 

Pierre Fetet

 

______________________________________

 

Sources :

 

- le rapport caché de la CTBTO :

https://drive.google.com/file/d/0ByTR8qUWVWcrVkx5ZUtWTGI4Vnc/view?usp=sharing

 

- Fukushima Diary :

http://fukushima-diary.com/2015/07/significant-level-of-i-131-detected-from-dry-sludge-of-fukushima-sewage-plant-after-rain-in-may/

http://fukushima-diary.com/2016/01/i-131-still-detected-from-two-sewage-plants-in-tokyo-this-december/#fr

http://fukushima-diary.com/2016/01/8000-bqkg-of-cs-134137-from-vacuum-dust-collected-in-the-last-week-of-2015/#fr

http://fukushima-diary.com/2015/08/over-80-bqkg-of-cesium-137-detected-from-vacuum-cleaner-dust-used-since-this-spring-in-tokyo/

http://fukushima-diary.com/2014/07/1000-bqkg-131-measured-sewage-sludge-northern-part-fukushima-prefecture/

http://fukushima-diary.com/2014/11/131-density-spiked-sewage-plant-fukushima/

 

 

- rapport de la préfecture de Fukushima :

http://www.pref.fukushima.lg.jp/uploaded/attachment/145719.pdf

 

- étude sur les particules sphériques :

Emission of spherical cesium-bearing particles from an early stage of the Fukushima nuclear accident

 

- météo des vents :

https://www.windyty.com/?temp,51.032,-5.814,2

 

Non-sources :

- La CTBTO ne fournit que très occasionnellement des données, à l’occasion d’erreurs de communication ou de publications scientifiques. Pour avoir les mesures, il faut être autorisé. Pourquoi garder ces informations secrètes ? Sans doute parce que le nucléaire n’aime pas la démocratie et qu’il reste manifestement une affaire militaire. Pourtant, c’est d’abord une affaire de santé car c’est l’air que nous respirons. La Criirad a lancé une pétition pour que ces données soient rendues publiques. Vous pouvez accéder à la pétition en cliquant ici.

 

Cet article est disponible au format pdf

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10 novembre 2015 2 10 /11 /novembre /2015 11:16
Il est temps de se résoudre à un « retrait honorable » du projet Tokyo 2020 vu la situation à Fukushima

Il faut tout annuler : L’ancien ambassadeur du Japon en Suisse, Mitsuhei Murata, a récemment suggéré que le Japon devrait se résoudre à un « retrait honorable » de son projet d’accueillir les Jeux olympiques de 2020, en raison de l’imprévisibilité de la situation à la centrale nucléaire dévastée de Fukushima n°1. (photo ci-contre : KYODO)

 

Il est temps de se résoudre à un « retrait honorable »

du projet Tokyo 2020 vu la situation à Fukushima

 

Brian VICTORIA

  

 

Article paru sous le titre original « Time has come for an ‘honorable retreat’ from Tokyo 2020 over Fukushima » le 4 novembre 2015 sur le site The Japan Times.

 

Traduction française : Odile Girard (Fukushima-is-still-news)

 

 

Lettre adressée à Toshiaki Endo, Ministre chargé des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo

 

Monsieur le Ministre,

 

Permettez-moi de débuter cette lettre en vous présentant mes condoléances les plus sincères. Mais pourquoi, me direz-vous ? Mes condoléances pour la mort de l’idée que des Jeux olympiques se déroulant sans incident à Tokyo en 2020 pourraient servir de vitrine au renouveau économique du Japon.

 

Jusqu’à présent, c’est exactement le contraire qui s’est produit : abandon des plans extrêmement coûteux du Stade national, cafouillage autour du logo olympique avec des accusations de plagiat et les gros titres des journaux prétendant que « les fiascos liés aux Jeux olympiques japonais indiquent un processus de décision dépassé et opaque. » Plus récemment encore, le ministre des Sports japonais, Hakubun Shimomura, a proposé de démissionner suite à l’affaire du stade olympique.

 

Parmi tous ces événements, l’accusation suggérant un « processus de décision dépassé et opaque » est peut-être la plus inquiétante, car elle sous-entend que les deux sérieux problèmes rencontrés jusqu’ici par les Jeux olympiques de 2020 sont de nature systémique, et non pas simplement des phénomènes exceptionnels. Si c’est le cas, il est probable que des problèmes similaires se reproduiront à l’avenir. Or combien de revers les Jeux olympiques de 2020 peuvent-ils affronter ?

 

Il convient peut-être dans ce contexte de se rappeler l’avertissement lancé au 13è siècle par Dogen, le maître Zen : « S’il y a la moindre différence au début, le résultat restera plus éloigné que le ciel de la terre. »

 

L’une des leçons que l’on peut tirer des paroles de Dogen est que pour comprendre l’embarras dans lequel on se trouve à tel ou tel moment, on doit réfléchir à la manière dont on en est arrivé là. Une fois qu’on a fait cela, le « début » devient clair : c’est la déclaration faite en 2013 par le Premier ministre Shinzo Abe au Comité international olympique pour affirmer que la situation à la centrale nucléaire de Fukushima N°1 était « sous contrôle ». Le Premier ministre allait ensuite déclarer à la Diète  « Les conséquences des substances radioactives dans les eaux avoisinantes sont limitées à une superficie de 0,3 kilomètres carrés dans l’enceinte du port de la centrale. »

 

Il suffit de voir les derniers articles décrivant des pluies torrentielles dans la région de Fukushima pour savoir que cette affirmation, si tant est qu’elle ait jamais été justifiée, n’a clairement plus aucun fondement. Tepco lui-même a admis : « Les 9 et 11 septembre, suite au typhon 18 (Etau), de fortes pluies ont provoqué des fuites d’eau du système de drainage dans la mer. » Ne parlons pas de la grande probabilité que des zones récemment décontaminées aient été recontaminées par les fortes pluies qui ramènent dans la plaine les particules radioactives déposées dans les montagnes environnantes. N’oublions pas non plus que nul ne sait où, ni dans quel état, se trouve exactement le combustible fondu des réacteurs 1, 2 et 3.

 

Malheureusement, le maître Zen Dogen n’a pas expliqué que faire quand on se trouve dans un endroit déjà très éloigné de la Terre, ou en l’occurrence, de la vérité. Par chance, l’ancien ambassadeur du Japon en Suisse, Mitsuhei Murata, a récemment proposé une solution éminemment raisonnable : Il est temps, dit-il,  d’organiser un « retrait honorable » du projet d’accueillir les Jeux olympiques de 2020, tant qu’il est encore possible de sélectionner et de préparer un site alternatif. 

 

Dans un article du Gekkan Nippon de septembre, M. Murata a étayé sa proposition en signalant un autre élément erroné dans la déclaration de M. Abe au CIO, à savoir « [Fukushima] n’a jamais causé et ne causera jamais de dégâts à Tokyo. » dans sa réponse, M. Murata énumère plusieurs incidents qui montrent que Tokyo a été affecté par les retombées radioactives de Fukushima, notamment la découverte le 23 mars 2011 que l’eau de la station d’épuration du district de Kanemachi à Tokyo contenait plus de 200 becquerels par litre d’iode radioactif, soit deux fois la limite stipulée pour les jeunes enfants dans la Loi sur la sécurité sanitaire des aliments.

 

Cependant, ce n’est pas le passé qui inquiétait surtout M. Murata, mais le présent et l’avenir. Il faisait ainsi remarquer le danger que continuent à poser les grandes quantités de barres de combustible usé suspendues dans les piscines de désactivation des réacteurs 1, 2 et 3. Contrairement aux barres de combustible du bâtiment réacteur 4 qui ont été retirées avec succès à la fin de 2014, les barres restantes ne peuvent être retirées des bâtiments réacteurs endommagés, en raison des taux de radioactivité élevés à proximité de ces réacteurs dont les cœurs ont tous subi une fusion.

 

La plus grande inquiétude de M. Murata vient d’un certain nombre de signes troublants d’une criticité récurrente dans l’un ou l’autre réacteur à Fukushima N°1. Il rappelle ainsi qu’en décembre 2014, la présence d’iode 131 et de tellurium 132 aurait été détectée dans la ville de Takasaki, dans la préfecture de Gunma. Étant donné la brièveté de la demi-vie de ces particules radioactives, leur présence ne pouvait pas s’expliquer par les fusions ayant eu lieu initialement à Fukushima.

 

M. Murata n’est pas contre les Jeux olympiques en soi, mais il les considère comme une excuse majeure pour éviter de faire ce qui devrait être fait immédiatement, c’est-à-dire faire appel aux plus grands esprits et aux meilleurs experts du monde entier et, avec le soutien inconditionnel du gouvernement japonais, faire tout ce qui est humainement possible pour s’assurer que la situation à Fukushima soit véritablement « sous contrôle ». Ceci contribuerait à garantir que l’Océan pacifique ne serve plus d’égout à ciel ouvert à la radioactivité émanant de Fukushima, et soulagerait également la souffrance et la détresse permanentes des résidents de Fukushima et de ses environs.

 

Comme le notait M. Murata dans la conclusion de son article, « le ciel et la terre ne vont pas tolérer longtemps les conduites immorales. » Compte tenu de tout ceci, Monsieur le Ministre, accepterez-vous de vous joindre à l’appel pour un « retrait honorable » ?

 

BRIAN VICTORIA
Kyoto

 

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 17:14
Le Japon et les centrales nucléaires

Raphaël Hauptmann, lecteur tokyoïte du blog de Fukushima, nous fait part d’informations sur le nucléaire, en particulier de la sortie récente d’un documentaire réalisé par Hiroyuki Kawai, juriste militant pour la fermeture de toutes les centrales nucléaires du Japon.

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Centrale de Takahama, fermée en 2015 (source : AFP / Kazuhiro Nogi)

 

Selon une étude menée par l’équipe d’épidémiologistes de l’université d’Okayama dont les résultats ont été rendus publics début octobre, quatre ans après les fuites radioactives de la centrale de Fukushima, le taux d’apparition de cancers de la thyroïde chez les enfants du département de Fukushima est 50 fois plus élevé que la moyenne nationale.

 

Le lendemain du tsunami du 11 mars, les autorités décident l’évacuation dans un rayon de 10 km autour de la centrale. Les recherches de survivants dans la zone sont suspendues à ce moment, empêchant de sauver des dizaines de vies humaines.

 

Les équipes de la centrale de Fukushima ont été proches de l’abandon complet de la centrale. Le premier ministre de l’époque, M. Kan, était personnellement intervenu pour demander aux équipes d’éviter le scénario catastrophe qui aurait provoqué la chute du pays.

 

Le scénario catastrophe est une explosion de la totalité des réacteurs de Fukushima s’ils sont laissés à l’abandon, et une contamination radioactive entraînant la nécessité d’évacuation dans un périmètre de 250 km autour de la centrale, ce qui représente une population de 60 millions de personnes à évacuer, incluant la ville de Tokyo.

 

Prévision de l’évacuation de Tokyo en 2011 par le gouvernement japonais (source : Asahi Shimbun : http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201201070039)

Prévision de l’évacuation de Tokyo en 2011 par le gouvernement japonais (source : Asahi Shimbun : http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201201070039)

Au Japon, une association de 300 avocats lutte pour l’arrêt des centrales nucleaires sur tout le territoire japonais. Leur leader, M. Hiroyuki Kawai, a mené cette lutte pendant 30 ans. Leur argument : la sécurité des centrales n’est pas assurée, en considérant les risques de tremblements de terre, d’éruptions volcaniques, et la menace terroriste ou militaire. Ils ne bénéficient que d’une très faible exposition médiatique malgré la validité de leurs arguments et leur engagement altruiste, et utilisent Twitter, internet et séances de projection régionales comme vecteurs d’information. Les médias traditionnels japonais sont aujourd’hui fortement contrôlés par le gouvernement en place, la principale chaîne de télévision d’information NHK est sous la direction d’un proche du parti du premier ministre Abe. Les présentateurs trop critiques de la politique du gouvernement sont écartés sans bruits des plateaux de télévision.

 

Des rumeurs circulent sur la volonté des groupes d’extrême droite et de la droite militariste, avec à sa tête M. Abe, de maintenir la production d’énergie nucléaire pour faciliter un armement nucléaire dans le futur. Le gouvernement est en train de faire sortir de force le pays de la voie pacifique empruntée depuis l’Après Guerre et pourrait dans un futur proche renier les principes anti-bombe atomique hérités de Nagasaki et Hiroshima.

 

M. Kawai a réalisé un film documentaire, Nihon to Genpatsu (le Japon et les centrales nucléaires), diffusé du 10 octobre au 30 octobre 2015 dans une salle de cinéma du quartier de Shibuya à Tokyo. Ce malgré la qualité du documentaire qui mériterait une diffusion nationale et d’être vu par tous, apportant une vision claire des évènements de Fukushima et du fonctionnement du village nucléaire Japonais, qui a ses ramifications dans 60% des organes et administrations du pays et achète le silence des collectivités locales via des subventions.

 

Ayant expérimenté au Japon en 2011 la terreur liée aux radiations de Fukushima, je souhaite la fermeture des centrales nucléaires mondialement, pour tirer un trait sur le cauchemard éveillé qu’est le nucléaire, et faire progresser notre société. C’est notre mission d’éviter les catastrophes qui peuvent menacer l’espèce humaine d’extinction.

 

 

Le 14 avril 2015, un jugement de tribunal est rendu et donne victoire à Kawai-sensei pour la fermeture de la centrale nucléaire de Takahama, qui permet de protéger du risque nucléaire la région du lac Biwa, de Kyoto et Nara. C’est la première fois dans l’histoire du Japon qu’une centrale est arrêtée par décision juridique.

 

M. Kawai n’a pas peur et poursuit son combat de toutes ses forces, parce que sa lutte est juste. Il sait que la résistance de ses ennemis est un combat perdu d’avance et son objectif actuel est de retarder la remise en route des centrales japonaises jusqu’au moment où le transfert vers les energies renouvelables sera devenu une évidence. L’ancien premier ministre Koizumi est engagé à ses côtés pour la sortie du nucléaire et le transfert vers les énergies renouvelables.

 

Tokyo, Octobre 2015

Raphaël Hauptmann

 

Le Japon et les centrales nucléaires

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En savoir plus

Hiroyuki Kawai est né en 1944 dans l'ancienne colonie japonaise de la Mandchourie au nord-est de la Chine. Après des études à l’Université de Tokyo, il a commencé à pratiquer le droit en 1970 comme avocat. Aujourd'hui, il est président de Sakura Kyodo Law Offices à Tokyo. Après l'accident nucléaire de Tchernobyl, M. Kawai fit connaissance avec Jinzaburo Takagi, qui est l'un des fondateurs du Centre d'information citoyen sur le nucléaire (CNIC), et a acquis la conviction que les centrales nucléaires sont le plus grand destructeur de l'environnement. En coopération avec un ami avocat Yuichi Kaido, expert de premier plan dans les poursuites contre les centrales nucléaires, M. Kawai a commencé à se battre pour fermer les centrales nucléaires par les tribunaux en s’impliquant personnellement dans des poursuites contre la centrale nucléaire d’Hamaoka dans la préfecture de Shizuoka et contre le projet de la centrale nucléaire d’Ohma dans la préfecture d'Aomori.
Après le 11 mars 2011, M. Kawai est devenu encore plus actif dans les activités anti-nucléaires. Persuadé que le Japon doit s’orienter vers une société indépendante de la production d'énergie nucléaire, il a créé le Réseau national des conseillers juridiques dans les affaires contre les centrales nucléaires, qui a intenté des poursuites contre presque toutes les centrales nucléaires au Japon. Il conduit également le groupe de conseil pour les actionnaires de Tokyo Electric Power Company (TEPCO), qui réclament réparation de 5500 milliards de yens, la plus grande demande d'indemnisation dans l'histoire japonaise. Il est également l’avocat représentant un groupe de 14 716 plaignants qui poursuit en pénal les présumés contrevenants, dont les dirigeants de TEPCO, concernant la catastrophe nucléaire de Fukushima et les dommages qui en résultent.

Son adversaire actuel est le village nucléaire japonais. Il le définit comme une structure informelle gigantesque à but lucratif occupant 60% à 70% de l'économie japonaise, qui comprend non seulement les compagnies d'électricité, mais aussi des entreprises générales de construction, des banques, des entreprises commerciales, des fabricants, des entreprises de communication de masse, des chercheurs et des politiciens. (source : CNIC)

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Raphaël Hauptmann, Français expatrié de 36 ans, vit au Japon depuis novembre 2007 et travaille dans des filiales de groupes industriels. Il souhaite contribuer au débat libre sur le sujet du nucléaire et apporter un point de vue local sur la perception de la situation au Japon.

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19 octobre 2015 1 19 /10 /octobre /2015 13:26
Fukushima, bilan d’une situation sanitaire inquiétante

Avec ce nouvel article, la chercheuse Cécile Asanuma-Brice fait le point sur la dernière enquête épidémiologique concernant l’exposition à de faibles doses de radioactivité et sur les recherches médicales menées à Fukushima après l’explosion de la centrale en mars 2011. Sans surprise – ce n'est la première étude sur le sujet – il est confirmé que les faibles doses de radioactivité augmentent le risque de mort par leucémie. On apprend également qu'une étude scientifique japonaise confirme un taux des cancers de la thyroïde de 20 à 50 fois plus élevé à Fukushima que dans le reste du pays. Par ailleurs, l'article indique 64 décès d'ouvriers ayant travaillé à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi depuis 2011, alors que Tepco n’en dénombre que 14 officiellement. Malgré les évidences, les autorités et l'opérateur continuent de nier les effets sanitaires désastreux de la catastrophe de Fukushima et de l'utilisation de l'énergie nucléaire en général.

PF

 

-oOo-

 

 

Fukushima, bilan d’une situation sanitaire inquiétante

 

Cécile Asanuma-Brice

 

 

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/cecile-asanuma-brice/191015/fukushima-bilan-d-une-situation-sanitaire-inquietante

 

 

Tant est grand l’irrationnel en cet affaire et par-delà les contradictions qui dépassent l’entendement, simultanément à l’annonce des résultats du groupe de recherche INWORKS (Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers) selon lesquels le risque de mortalité par leucémie ou myélome multiple des travailleurs de centrales nucléaires après exposition à des faibles doses est désormais avéré [1], le gouvernement japonais, avec l’aval de l’AIEA [2], a relevé les doses acceptables pour les travailleurs du nucléaire de 100msv/an à 250 msv/an en cas d’urgence [3].


Pour rappel, cette même norme qui était à 20 mSv/an avant l’explosion de la centrale de Tepco - Fukushima Dai ichi a été réhaussée à 100 mSv/an après l’accident (pour les travailleurs du nucléaire) et à 20 mSv/an pour la population civile. Suite au réhaussement de la norme, lors du seul mois d’août 2015, on compte trois décès parmi les travailleurs de la centrale nucléaire de Fukushima Dai ichi, ce qui porte à 64, selon les chiffres officiels [4], le nombre de travailleurs décédés des conséquences de leur travail.

 

Devant la vivacité des prises de position concernant les conséquences sanitaires du nucléaire, nous avons jugé nécessaire de refaire un bref bilan sur le sujet, afin de poser une question des plus candides : le nucléaire est-il dangereux pour l’homme ? Où en sont les enquêtes épidémiologiques sur le sujet ? Qu’avons-nous appris des diverses recherches médicales menées à Fukushima après l’explosion de la centrale en mars 2011 ?

 

 

Les effets épidémiologiques du nucléaire : Even INWORKS [5] doesn’t work…

 

Cette étude, menée par 13 chercheurs en épidémiologie provenant tous de laboratoires distincts, a été rendue publique en juin 2015. Son financement provient du centre de prévention et contrôle des maladies, du Ministère de la santé, du travail et du bien-être du Japon, de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN), d’AREVA, d’électricité de France, de l’institut national pour la sécurité et la santé (USA), du département de l’énergie américain, du service sanitaire et humanitaire des Etats-Unis, de l’université de Caroline du Nord, du ministère de la santé publique anglais. Les financements de cette recherche relèvent donc principalement d’acteurs impliqués directement dans les intérêts du microcosme nucléaire. Néanmoins, les auteurs de cette recherche précisent que les financeurs ne sont à aucun moment intervenus dans la recherche ou dans la rédaction du rapport, leur rôle s’étant limité à l’autorisation d'accès aux données. Cette étude a consisté à suivre non moins de 308 297 travailleurs employés dans un équipement nucléaire depuis au moins un an, pour la France : par la Commission d’Energie Atomique (CEA), AREVA Nuclear Cycle, ou l’entreprise nationale d’électricité (EDF) ; les départements de l’énergie et de la défense pour les USA ; et pour l’Angleterre, les employés de l’industrie nucléaire inscrits au registre national des travailleurs de la radioactivité [6]. La méthode utilisée pour suivre l’état de santé des travailleurs a été la régression de Poisson, ou modèle linéaire de fonctions logarithmiques, qui permet de quantifier les associations entre la dose absorbée par la moelle épinière, et le taux de mortalité par leucémie, lymphoma (tumeurs qui se développent sur les cellules lymphatiques) ou myélome multiple. Jusqu’à présent les données dont nous disposions provenaient essentiellement de la radiothérapie. On avait par exemple démontré que l’exposition annuelle à des doses de radiations ionisantes était passée de 0,5 mGy par personne en 1982 à 3,0 mGy par personne en 2006 aux Etats-Unis. Ce phénomène a été observé dans la plupart des pays à revenus élevés. D’autres données avaient été accumulées via le suivi épidémiologique des survivants des deux bombes atomiques larguées par les Etats-Unis à Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Leur analyse a permis de démontrer le lien de cause à effet entre l’exposition à des radiations ionisantes et le développement de leucémie. Mais ces résultats ne concernaient que l’exposition à des niveaux élevés de radiation. Les auteurs n’évoquent pas les bases de données effectuées et analysées après Tchernobyl. L’étude menée par l’équipe de chercheurs de INWORKS quant à elle, prouve la corrélation entre le risque de mort par leucémie et l’exposition à de faibles doses de radiation, via un suivi des individus concernés sur une période de 60 ans.

 

Risque relatif de leucémie – à l'exclusion de la leucémie lymphoïde chronique – associée à 2 ans de dose cumulée pour la moelle osseuse rouge (source : http://www.thelancet.com/journals/lanhae/article/PIIS2352-3026%2815%2900094-0/fulltext)

Risque relatif de leucémie – à l'exclusion de la leucémie lymphoïde chronique – associée à 2 ans de dose cumulée pour la moelle osseuse rouge (source : http://www.thelancet.com/journals/lanhae/article/PIIS2352-3026%2815%2900094-0/fulltext)

La raison au service du devoir de soumission

 

Mais puisque rien n’arrête ceux qui vont se servir à la boucherie ALARA (As Low As Reasonably Achievable – aussi bas que raisonnablement possible) [7], c’est moins d’évidences épidémiologiques que de « raison » dont nos vies dépendraient. Ainsi, la démagogie en la matière aurait depuis peu remplacé le terme de victime par celui de « personnes affectées » dans ses documents. Ce changement de terminologie, notamment dans les rapports de l’ICRP [8] n’est pas sans conséquence car l’affect, est, en psychologie, ce qui est opposé à l’intellect, et en cela, induirait des comportements qui ne seraient pas rationnellement fondés. En psychologie, l’affectivité est opposée à la cognition, soit aux capacités d’un raisonnement rationnel bien que cette approche dichotomique tende à se nuancer au cours du temps. En outre, l’utilisation du terme d’affect ici renvoie au discours d’une peur irrationnelle d’un danger mal connu (le nucléaire) qui serait à l’origine d’une radio-phobie. Récemment, l’ICRP s’accorde à dire que ce terme de « radio-phobie » dont elle était l’auteur, est déplacé. Il serait, selon leur nouveau discours, normal que les personnes aient peur car elles seraient dans la méconnaissance. Il s’agirait donc de mettre en place un système d’éducation afin de remédier à l’ignorance régnante. Cette logique est néanmoins en contradiction avec celle développée par les mêmes personnes pour appliquer le principe ALARA, soit : « nous ne savons pas, scientifiquement, quels effets sanitaires ont les faibles niveaux de radioactivité, donc on ne peut que faire avec sur place ». Le tout sera donc de trouver la voie pour enseigner ce que l’on ne sait pas… Cela en dit long sur le poids donné à la simple communication en la matière. Par ailleurs, l’étude Inworks a désormais démontré les conséquences sanitaires concrètes des faibles doses. Ainsi, on peut se demander si la communication mise en place par l’ICRP ne relève pas de l’endoctrinement publicitaire plus que de l’information scientifiquement fondée.

 

 « Faire aussi bas que raisonnablement possible » (ALARA) signifie également, selon Jacques Lochard, que « Le droit au refuge ne peut être une des règles de la radio-protection. Nous devons accepter la situation et faire avec. » [9]. Deborah Oughton (CERAD) complète ces termes prononcés lors du symposium sur l’éthique en radio-protection par « nous devons éduquer les gens aux risques, afin de rendre ce risque plus acceptable ». Le tout est de savoir par qui ce risque devrait être accepté et pourquoi. Ces quelques extraits d’intervention choisis parmi d’autres, nous ont amené à nous interroger sur ce qui est très certainement l’une des préoccupations majeures de nos sociétés aujourd’hui, soit le fait que ceux qui effectuent la prise de risque sont rarement ceux qui reçoivent les bénéfices de cette prise de risque. En cela la situation devient inacceptable pour ceux qui en sont victimes. Cela se reflète concrètement par la détérioration de leur état psychologique et se traduit par un taux de suicide qui augmente de façon exponentielle.

 

 

Les effets psychologiques du nucléaire : un retour impossible

 

Nous avions établi un premier bilan en décembre 2014 du nombre de victimes de cette gestion aussi désastreuse que le désastre lui-même, comptabilisant 1170 décès relatifs à l’explosion de la centrale nucléaire de Tepco [10]. Les résultats d’une enquête récente menée auprès de 16 000 personnes réfugiées par l’équipe du professeur Takuya TSUJIUCHI, directeur de l’institut d’anthropologie médicale sur la reconstruction des désastres de l’université de Waseda [11], montre que plus de 40% d’entre elles sont atteintes de troubles de stress post-traumatique (PTSD). Le professeur Tsujiuchi, interviewé par la NHK le 27 mai 2015, précise que contraindre ces personnes au retour à la vie sur le lieu générateur du désordre psychologique alors même que cet environnement reste instable en raison du taux de contamination et de l’état de la centrale nucléaire en déliquescence, aurait des conséquences dramatiques. Celui-ci précise qu’à la différence des résultats des tests post-traumatiques effectués après des tremblements de terre, il ressort de cette enquête que les victimes ne sont pas confrontées à un simple stress dans la gestion de leur vie quotidienne, mais ressentent une véritable angoisse de mort face à la menace nucléaire. Selon le professeur Tsujiuchi : « aujourd’hui on fait comme si la catastrophe avait pris fin, alors que ça n’est pas le cas. On coupe l’aide au logement, puis, l’indemnité pour préjudice nerveux, puis les compensations financières pour perte de bien… il n’y aura bientôt plus d’aides au refuge. La situation est très dangereuse. »

 

Carte de la Préfecture de Fukushima et des aires de dépistage de nodules thyroïdiens de 2011 à 2013 (source : http://www.ourplanet-tv.org/files/Thyroid_Cancer_Detection_by_Ultrasound_Among.99115.pdf)

Carte de la Préfecture de Fukushima et des aires de dépistage de nodules thyroïdiens de 2011 à 2013 (source : http://www.ourplanet-tv.org/files/Thyroid_Cancer_Detection_by_Ultrasound_Among.99115.pdf)

Les enquêtes épidémiologiques à Fukushima : Il est toujours trop tôt à moins qu’il ne soit déjà trop tard…

 

Le 8 octobre 2015, lors d’une conférence de presse à Tôkyô au club des correspondants étrangers du Japon, le Professeur Toshihide TSUDA, épidémiologiste de l’université d’Okayama, spécialiste des retombées sanitaires des pollutions environnementales, exprime son désarroi quant à la manière dont les enquêtes épidémiologiques sont actuellement menées à Fukushima. L’université médicale de Fukushima ainsi que la Préfecture elle-même, deux acteurs à la tête des investigations menées depuis 2011, estiment encore aujourd’hui, qu’il est trop tôt pour tirer des conséquences sérieuses des résultats obtenus.

 

Quels sont ces résultats ?

 

Le professeur Tsuda et son équipe ont repris la totalité des données rassemblées d’octobre 2011 jusqu’en juin 2015. Soit, l’échographie de la thyroïde d’un échantillon de 370 000 personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits. Ils ont mené une étude comparative prenant en compte la moyenne connue de développement de cancer de la thyroïde sur l’ensemble du Japon par classe d’âge par année afin de quantifier le rapport de causes à effets entre la pollution engendrée par les isotopes qui se sont répandus dans l’atmosphère après l’explosion de la centrale et l’accroissement du nombre de cancer de la thyroïde chez les enfants de moins de 18 ans dans la région.

 

« Si l’on fait une comparaison avec la moyenne nationalement connue, on en déduit, que le taux de cancer de la thyroïde des moins de 18 ans a été multiplié par 50. Dans les endroits où le taux est naturellement faible, on trouve une multiplication par 20 fois du nombre de cancer de la thyroïde. Dans les localités (au plan national) où le taux était le plus faible, nous n’avons pas encore détecté de cas de développement de cancer de la thyroïde. »

 

Le professeur Tsuda se porte en faux face au rapport de l’organisation mondiale de la santé de 2013 qui sous-estime considérablement les conséquences sanitaires de l’explosion de la centrale de Fukushima. Selon lui, il sera bientôt trop tard pour prendre les mesures qui s’imposent face à une multiplication importante des cancers (il s’agit en particulier de cancers de la thyroïde,  de leucémies et de cancers du sein) dans les régions contaminées qui n’ont toujours pas toutes été évacuées, et dans lesquels, bien au contraire, on rappelle les familles réfugiées dites "volontaires" à revenir habiter. Le professeur Toshihide TSUDA a publié le 5 octobre 2015 les résultats de ses recherches dans la revue internationale Epydemiology [12] et les exposera à l’Institut des systèmes complexes (CNRS) à Paris le 9 novembre prochain.

 

 


[1] Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS) : an International cohort study, Klervi Leuraud, David B Richardson, Elisabeth Cardis, Robert D Daniels, Michael Gillies, Jacqueline A O’Hagan, Ghassan B Hamra, Richard Haylock, Dominique Laurier, Monika Moissonnier, Mary K Schubauer-Berigan, Isabelle Thierry-Chef, Ausrele Kesminiene, 22 juin 2015.

 

[2] Agence Internationale à l’Energie Atomique

 

[3] NHK News, 25 Juillet 2015. 緊急時の被ばく線量 上限引き上げ案を審

Nikkei, 15 août 2015, 原発作業員の被曝限度上げ、緊急時250ミリシーベルトに 規制

http://www.nikkei.com/article/DGXLASDG08H1Q_Y5A700C1CR0000/

 

[4] Journal Nikkan Gendai du 26 août 2015 :

http://www.nikkan-gendai.com/articles/view/news/163113

 

[5] Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers

 

[6] dixit : National Registry for Radiation Workers in the UK.

 

[7] Principe de précaution en matière de radio-protection lorsqu’il y a incertitude sur la relation dose-effet.

 

[8] Commission internationale de Protection Radiologique. Symposium 2-3 juin 2015 à l’Université Médicale de Fukushima : workshop sur les questions d’éthique dans le domaine de la radio-protection, organisé par l’université médicale de Fukushima et l’ICRP

 

[9] Prononcé en anglais : « The right of refuge could not be one of radio-protection rules. We have to accept situation and deal with ». Ibid.

 

[10] Cécile Asanuma-Brice (2014) : Beyond reality: The management of migratory flows in a nuclear catastrophe by a pro-nuclear State, Japan Focus, nov. (en anglais)

 

[11] Waseda Institute of Medical Anthropology on Disaster Reconstruction

 

[12]http://journals.lww.com/epidem/Abstract/publishahead/Thyroid_Cancer_Detection_by_Ultrasound_Among.99115.aspx

 

____________

Source illustration d’entête : Daily News (Santana/AP)

 

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27 septembre 2015 7 27 /09 /septembre /2015 06:53
Comment réarranger  les chaises-longues sur le Titanic nucléaire

Article paru sous le titre original « Rearranging the deck chairs on the nuclear Titanic » le 19 septembre 2015 sur le site du Japan Times

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Auteur : Jeff Kingston

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Traduction française : Fukushima is still news

Le bilan de l’accident nucléaire de 2011 à Fukushima récemment publié par l’Agence internationale de l’énergie atomique n’offre pas une lecture réjouissante et tombe à pic pour nous rappeler pourquoi le redémarrage de la centrale nucléaire de Sendai (dans la province de Kyushu) n’est pas une bonne idée.

 

Quand un organisme de promotion de l’énergie nucléaire présente, à de multiples reprises, de sévères critiques de l’affligeante culture de la sécurité nucléaire du Japon et expose la médiocrité  des mesures d’urgence et des protocoles de gestion des catastrophes, il est temps de se demander si les choses ont réellement changé dans les cinq dernières années, et si c’est une bonne idée de redémarrer les réacteurs nucléaires japonais quels qu’ils soient.


En 2012, le gouvernement a mis en place un nouvel organisme de surveillance de la sécurité nucléaire, l’Autorité de régulation nucléaire (NRA en anglais) et il prétend aujourd’hui que le Japon utilise les critères de sécurité les plus stricts du monde. Mais est-ce bien vrai ? Et est-ce vraiment important ?


Pour David Lochbaum, co-auteur de “Fukushima: The Story of a Nuclear Disaster,”un livre paru l’an dernier et le meilleur que j’aie pu lire sur la fusion des réacteurs, les dernières réformes ne sont qu’une manière de « réarranger les chaises-longues sur le Titanic nucléaire ». Lochbaum n’accorde aucune crédibilité à l’allégation du Japon qui veut que ses normes soient les plus strictes du monde.

 

« J’aimerais encore mieux acheter le pont de Brooklyn, » ironise Lochbaum. « Qu’aurait dit le Japon de ses normes de sécurité le 10 mars 2011 ? Aurait-il admis que ses normes de sécurité n’étaient qu’au 23è rang mondial, mais que ce niveau de protection était suffisant pour les citoyens japonais ? 

« Tout cela n’est que gesticulations sans valeur.  Aucun organisme de régulation quelque soit le pays ne concèderait publiquement ne pas avoir ce qu’il y a de mieux au monde en matière de normes. »


Si la NRA avait existé avant Fukushima, Lochbaum est d’avis que la catastrophe aurait démontré l’insuffisance de cet organisme.


« La NRA aurait été éclatée et ses attributions déléguées à diverses agences gouvernementales, » dit-il.


Mais à l’époque, la responsabilité et l’autorité en matière de sûreté nucléaire étaient divisées entre plusieurs agences et le gouvernement a décidé de concentrer tous les pouvoirs entre les mains de la NRA. Et c’est ce qu’il appelle une solution.


« Les catastrophes sont une mauvaise chose et nécessitent des changements, » dit Lochbaum. « On en oublie que les changements ne résolvent en rien les problèmes sous-jacents. »


Cependant, parmi ceux qui « réarrangent les chaises longues nucléaires », le Japon n’est pas le seul pays à brandir un simulacre d’amélioration de la sécurité. Lochbaum rappelle comme exemple l’incident qui a eu lieu en 2008 en Pennsylvanie.


« Quand on a découvert que des responsables sécurité sous traitants dormaient pendant leur  temps de travail à la centrale nucléaire de Peach Bottom, le directeur a licencié le sous-traitant et conservé les responsables sécurité, » rappelle-t-il. « C’était grosso modo le même groupe de personnes mais avec un logo différent sur leur uniforme. Mais la différence de logo avait en quelque sorte « résolu » le problème et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. »

 

L’histoire est pertinente puisque la plupart des employés de la NRA travaillaient auparavant pour l’Agence de sûreté nucléaire et industrielle qui a été tant décriée. La médiocrité du système de surveillance et les défaillances du système de sécurité qui ont été reprochés à l’Agence étaient dus à l’emprise réglementaire et à son attitude de servilité envers les opérateurs.


« C’est plus pratique de blâmer l’emprise réglementaire pour le désastre de Fukushima que de chercher la vérité,» indique  Lochbaum . «  Mais je ne connais aucun réacteur au monde, de quelque type que ce soit, qui aurait pu survivre au double impact du séisme et du tsunami qui a terrassé la centrale. » Et pourtant, ce n’est pas rassurant de savoir, comme le dit Lochbaum, que « le type et les procédures de fonctionnement de Fukushima ne sont pas radicalement différents de ceux qu’on trouve ailleurs dans le monde. »


Le rapport de l’AIEA et Lochbaum insistent tous deux sur la nécessité d’une défense en profondeur, c’est-à-dire de plusieurs niveaux d’infrastructures de sécurité, d’équipements et de redondance, pour réduire les possibilités d’accident nucléaire.


Une défense en profondeur dépend de multiples barrières qui limitent les risques, mais Lochbaum énumère toutes les barrières qui n’ont pas joué leur rôle à Fukushima : arrêt de l’électricité hors site, arrêt de l’électricité sur le site même, des générateurs de secours sur le site qui n’ont pas pu être mis en route à temps, un mur de protection anti-tsunami pas assez haut, etc.

 

« Si une seule de ces barrières avait fonctionné, il n’y aurait pas eu de Fukushima, » insiste Lochbaum. « Il n’y a tout simplement pas eu suffisamment de “ et si ?”, ce que l’AIEA décrit comme « un manque de remise en question des systèmes de sécurité existants. »
 

L’AIEA sous-entend que parce qu’ils ne s’étaient pas préparés au pire et qu’ils s’appuyaient sur des scénarios probabilistes fondés sur des hypothèses démesurément optimistes, les instances de réglementation japonaises et les opérateurs de centrales ont négligé leur devoir. Le risque est bien là que la NRA, en vantant son nouveau système de sécurité, soit une fois encore en train d’alimenter le mythe de la sécurité.

« Quand nos hypothèses sont bonnes, les “critères les plus stricts” ont belle allure, » explique Lochbaum. «Mais quand nous nous trompons, c’est la faute de l’emprise réglementaire, d’une centralisation ou d’une décentralisation excessives dans la gestion, ou n’importe quelle excuse bidon. »

 

La NRA va continuer en grande partie à s’appuyer sur les déclarations et les autocontrôles des opérateurs pour garantir le respect de la réglementation. Étant donné que, de leur propre aveu, tous les producteurs d’énergie ont triché sur les données concernant les réparations et la maintenance, pourquoi leur ferait-on confiance aujourd’hui ?  

 

La centrale nucléaire de Sendai, dans la préfecture de Kagoshima, a été relancée cette année (Photo : REUTERS).

La centrale nucléaire de Sendai, dans la préfecture de Kagoshima, a été relancée cette année (Photo : REUTERS).

Lochbaum note également les incohérences énormes entre les évaluations de sécurité de la Commission de réglementation nucléaire américaine (la NRC) et celles des opérateurs. Il compare les objectifs de sécurité à des limites de vitesse pour le nucléaire, mais celles-ci n’ont aucun sens puisque les radars du gouvernement et les compteurs de vitesse des opérateurs sont complètement incontrôlables. Le résultat le plus concordant est une vitesse de 110 miles par heure au compteur du radar, alors que l’opérateur affirme avoir respecté la limite de vitesse de 55 miles. Mais dans une autre centrale, celle de Watts Bar dans le Tennessee, « le compteur nucléaire affichait 55 miles/heure quand le radar de la NRC affichait le chiffre accablant de 42 853 miles/heure ! ».


La conclusion de Lochbaum est que les modèles d’évaluation de risques « ne peuvent servir qu’à raconter des histoires amusantes et à perdre son temps de manière improductive tant que leurs résultats sont si loin de coïncider. Quand l’évaluation des risques présente un facteur de différence de 2 à 800, il est impossible de prendre des décisions qui tiennent véritablement compte des risques. Il ne s’agit plus de décision informée, mais de décision dé-formée. »

 

Il ne faut pas non plus attendre de miracles des tests de résistance appliqués aux réacteurs japonais ou d’autres mesures comme l’allongement de la hauteur des murs anti-tsunami, de la durée des batteries et autres améliorations marginales.


« Individuellement et collectivement, (tout cela) sert un peu de garde-fous et réduit la probabilité qu’une mauvaise hypothèse ne déclenche une autre catastrophe nucléaire, » fait remarquer Lochbaum. »  Mais tant que les barrières protectrices seront le résultat de suppositions sans avoir recours au “et si ?”, des catastrophes nucléaires continueront à se produire. »


L’AIEA affirme que le laxisme n’a pas sa place dans la sécurité nucléaire, mais n’interpelle pas le Japon sur une faille flagrante dans son système de préparation aux catastrophes. Elle expose en détail la nécessité de mettre en place un système d’évacuation d’urgence, des entraînements et des exercices adaptés, mais dans la réglementation actuelle, cette responsabilité revient aux villes qui hébergent les centrales, ce qui excède leurs capacités limitées, en particulier depuis que le périmètre de la zone d’évacuation autour des centrales est passé à 30 km. Les simulations d’évacuation fondées sur des conjectures optimistes montrent bien que la population vivant dans la zone d’évacuation sera exposée à d’importantes doses de radiation parce que les réseaux de transport seront saturés. Et si l’on prend en compte le risque d’une éruption volcanique qui déposerait une épaisse couche de cendres et d’un tsunami concomitant qui dévasterait les routes côtières, l’évacuation serait catastrophique.

 

Le Titanic lui aussi était mal préparé à évacuer les passagers, parce qu’il avait omis d’imaginer l’inimaginable et donc mal géré le risque. Il semble que les enseignements de Fukushima sont eux aussi ignorés : on préfère escamoter les risques et espérer pouvoir improviser de façon inspirée. Il y a donc bien lieu pour les citoyens japonais d’aller en justice pour bloquer le redémarrage des réacteurs et pour des juges courageux de résister aux pressions du village nucléaire et de prendre le parti du bon sens.

 

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